12/01/2009
la huitième écorce - Gil Pressnitzer
Dans le cercle de l’arbre
(note de lecture)
« les éclairs se sont cachés dans l’arbre
et attendent que le tonnerre ait fini de compter
en bas dans un courant d’air les visages des hommes
ils entourent l’arbre
ils maudissent celui qui est dans l’écorce
où je vis à double tranchant… »
Cathy Garcia
« la huitième écorce »
Gil Pressnitzer
Trident neuf éditeur, 2005
Peau de l’arbre dans l’expression la plus courante, dont la transparence se perd au fil du vieillissement des cellules, rhytidome chez les botanistes pour désigner la partie morte de l’écorce… écorces à épines, fleurs, fruits, écorces papyrifées… écorces aux couleurs et aux textures multiples, dont les rôles ne nous sont pas totalement inconnus même si notre méconnaissance nous fait oublier leur fonction fondamentale, entre autre celle de nourrir protéger purifier.
Les blessures de l’écorce sont fréquentes. Dans la huitième écorce de Gil Pressnitzer, il est question de dire que nous ne vivons pas que de nos blessures mais aussi de nos échappées hors des blessures. Dire aussi ce trop de nuit pour dire nos blessures, ce pas assez de jour, des mots qui vous prennent la gorge, des mots tus qui suffoquent en moi et ne trouvent pas la sortie (…) attention s’ils ressortent sauvages ils maudiraient les herbes. Mais autant d’échappées qui consistent à nous défaire de quelle écorce ? et de combien de peaux mortes ?
L’arbre et ses écorces comme autant de pages tournées, consumées.
Chez Gil Pressnitzer il y a aussi la violence de l’Histoire : des cendres ne restent que les insomnies, et plus loin : il se love dans la peur des champs de barbelés.
je suis le témoin interne de l’arbre
j’écris son journal intime sur la huitième écorce
nul n’y lira rien
moi-même on va me crever les yeux au dernier mot
(…)
la huitième écorce
vous rentre la vie au fond de la gorge
le rouge à lèvres du sang déteint sur nos bouches
La vie avec ses écorces noirâtres, ses écorces brun-rougeâtres. Nos vies à ne pas être en dehors de l’écorce, à vouloir (ou aspirer) sortir de l’écorce. Pour quel savoir ? Pour quelle vérité ? ah sortir de l’écorce/pour enfin savoir/comment les feuilles tremblent/d’être simplement dans l’air.
Du vert chlorophylle vient se loger dans l’évidence de ce qu’il a bien fallu vivre/au nom de la parole.
j’entasse dans la huitième écorce
en plein mitan
tous les noms de mes morts
bien rangés
au frais de l’oubli à venir
l’écorce jette un cri
la haine de la nostalgie
entrer dans le cercle de l’arbre… de la première écorce à la huitième écorce… dans l’écorce où doigt et âme se laissent prendre.
Mots à la rugosité des écorces, à la fragilité de ce qui est sur le point de se détacher par plaques, écorces de mots qui s’effritent (poussière, sciure, usure) … mots des éclats de bois… mots des lichens qui envahissent les bois mort…
à vif.
Nathalie Riera
12 janvier 2009
« un jour un jour
nous serons l’un contre l’autre
dans la même goutte d’eau
(…)
un jour un jour nous vivrons ensemble dans
cette goutte d’eau
la vie vue de ce vitrail sera jeune
et fera trembler nos peaux… »
la bouche d’où sort la nuit
nous étions là avant l’histoire
toi qui t’étends sur l’arbre comme texte de mémoire
tatouage de prières sur rumeurs du jadis
moi enlisé dans tous mes noms
qui me creuse en bas dans la chair
les larmes sont souffles quand la terre se tourne
nous nous guettons chacun dans ses insomnies
nous épions le commencement de l’autre
la bouche d’où sort la nuit nous dénonce
nous pousse à faire amitié comme fougères
à devenir lien pour la complicité des tueurs d’oubli
tes conquêtes montent haut au-delà du bruit
toi la huitième écorce tu auras fait de moi une rumeur
mes écritures me rejettent jusqu’à l’absence
me frotter sang contre mousse a fait de moi ton ombre portée
tu te suffis à toi-même
avec moi enclos dans mes tremblements
depuis longtemps
nous étions là avant l’histoire
qui va céder le premier
qui va commencer l’oubli
qui va lire l’autre jusqu’au blanc
la confiance s’est perdue dans les météores
le premier qui s’endort est mort
nous partageons un seul miroir
une seule peau
vieux couple lié par la ténèbre
dans le même lieu
par le seul mot
la même patrie de ciel
à quelle distance intérieure dois-je me tenir de toi ?
rends-moi l’ombre d’où je viens
laisse-moi instant de passage
je ne veux plus être durable
meurs avant moi
22:33 Publié dans Gil Pressnitzer, Nathalie Riera, NOTES DE LECTURES/RECENSIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook