01/10/2023
GUSTAVE ROUD - Campagne perdue - Editions Fario
Gustave ROUD
Campagne perdue
[extrait]
■ Gustave Roud (1897-1976)
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Extrait
Postface et notes de Stéphane Pétermann
Éditions Fario, 2020.
Sursis.
La neige ne nous touche pas encore.
Un instant, sur l’épaule de la plus haute colline. Lèpre tout de suite fondue sous le doigt de pluie hors d’un nuage. On peut reprendre haleine après ce pincement au cœur — mais pour peu de temps. Quelques jours encore, et pour des mois il faudra marcher plus haut que terre, tasser du talon une poudre éblouissante, vivre au cœur d’un miroitement bleu-argent, le nez plissé, le regard mince comme une aiguille.
C’est un sursis. Tellement inespéré qu’il fait à la fois plaisir et gêne, et que le pays lui-même hésite à revivre. Trois nuits d’averses et de rafales l’ont lassé. Il voudrait dormir et il lui faut s’éveiller sous une haute lumière inexorable qui le fouille jusqu’aux glaciers extrêmes de l’horizon. Saveur de cet instant à surprendre, où le monde perd contenance. L’œil saute de l’un à l’autre de ses éléments posés devant lui en désordre. Plus de plans, une confusion de valeurs, l’absence de hiérarchie propre au désarroi. L’herbe sous vos pieds à l’inconsistance de la cendre, mais l’angle d’une forêt sur le ciel est aigu comme un coup de couteau. Un caillou va s’écraser, fruit mûr. Un buisson de fer. Plus de ressemblances pour l’esprit : des méprises. Est-ce un sombre feu qui brûle ou une touffe d’osiers ? Une lessive étendue au verger proche ou les façades d’un village au-delà de deux vallées ? Et l’épervier sur un morceau de branchages au bord de la route déploie sans hâte à notre approche sa paire d’ailes fauves, n’ayant plus crainte de l’homme dans ce monde renversé.
[…]
[Extrait : pp.36-38]
Visite du dragon
Étrange calendrier d’extrême-hiver où nichée au creux du temps, comme la perce-neige dans l’herbe morte et les feuilles pourrissantes, une journée fleurit soudain si pure qu’on ose à peine la cueillir, ivre d’un tel miracle, avec ce cœur qui recommence à battre et la sombre sève du sang sous l’écorce des tempes, aux rameaux des doigts fiévreux ! Mais la chambre de l’absolu quittée, ses poésies, ses poussières, ses pipes éternelles, on se heurte sur le seuil, tête contre tête, au jeune soleil qui allait entrer, qui vous bourre en pleine poitrine du feu de ses poings roses, les pose à vos épaules et vous souffle un éblouissant : Qu’attendais-tu ?
Voici la belle étoile des routes, le carrefour de l’amitié. Laquelle prendre ? Celle du nord vers les dragons de Chesalles et de Villarzel, le chemin d’ouest vers ceux de Chapelle ou de Saint-Cierges, l’asphalte au sud jusqu’à Forel, jusqu’au petit lac solitaire où les cimes de Savoie baignent leurs neiges entre les roseaux secs et les barques abandonnées ? J’ai choisi celle de l’est, puisqu’elle affrontait le soleil et me délivrait ainsi de mon ombre que les autres m’eussent fait piétiner sans cesse ou donnée à droite, à gauche, comme un noir double inséparable, percé de branches, déchiré par l’épine des buissons… Et parce qu’elle semblait douce au pas, humide encore des neiges d’hier, paresseuse à plaisir parmi le poil de lièvre des prairies. Et parce qu’en la suivant une couple d’heures (je le savais) jusqu’à cette corne bleue d’une sapinaie, là-bas sous le dos des montagnes en laine blanche comme des brebis de bergerie, André, je toucherais votre maison.
Mais à chaque forêt, cette route innocente sous le soleil plongeait en pleine tuerie d’arbres. Et cela je ne le savais point. Les marchands seront revenus, les poches gonflées, la bouche pleine de prix vertigineux, et derrière eux les haches de nouveau se lèvent et s’abattent, les scies recommencent à mordre, les fûts immenses à frémir, à s’effondrer en sifflant dans le fracas des branches brisées. Il faudrait s’endurcir le cœur ou détourner les yeux de ces grands corps couchés qu’on a retranchés de la vie au seuil même du renouveau, qu’on écorce, qu’on écorche, mise à nu leur chair cachée couleur de rose, couleur d’orange ou lisse et pâle comme un beurre d’hiver fraîchement battu. Il faudrait se guérir en froissant une feuille de lierre, en étendant les mains sur le sol jusqu’à les sentir becquetées au creux des paumes par la plus fine pointe des plantes perce-terre… Mon guérisseur, c’est un rameau de bois-gentil que j’ai pu rompre, avec ses fleurs de cire rose à peine ouvertes et son parfum, ce miel faux et frais où s’englue lentement la pensée. Je le tiens comme un talisman, je le hausse vers la lumière : toute la vallée devient un lac d’odeur.
[…]
[Extrait : pp.79-81]
■ © Éditions FARIO
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30/04/2020
Gilles Ortlieb, "Un dénuement. Arthur Adamov"
Gilles Ortlieb
UN DÉNUEMENT Arthur Adamov
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Extrait
pp. 50-51
Je le revois encore, pieds nus dans ses sandales, à Saint-Germain-des-Prés. Pas si différent d’Artaud si souvent croisé sur les mêmes trottoirs. À cela près qu’Adamov était lucide, conscient, présent. De toute façon, l’Adamov première manière est l’un de ceux qui ont le mieux continué, prolongé l’enseignement d’Artaud. C’était un personnage fascinant. A cause de sa culture, d’abord : il donnait l’impression d’avoir lu tous les livres. A quoi il fallait ajouter cette expérience, particulièrement singulière et riche et aigüe qu’il avait de la vie. Une grande difficulté d’être, les graves problèmes, les vertiges que nous révèle L’Aveu. Mais il avait de surcroît participé à tous les mouvements littéraires et politiques de son époque depuis qu’il était arrivé à Paris, à seize ou dix-sept ans. Un virtuose de la parole. Il avait beaucoup d’humour. C’est un aspect d’Adamov que l’on mentionne peu mais que tous ses amis connaissent. C’était aussi un conteur prodigieux, doué d’un extraordinaire humour. Il y avait une communication intense entre l’adolescent que j’étais et lui. C’était un homme blessé et tout adolescent est blessé dans la mesure où le monde se refuse à lui. Je me suis reconnu en lui. C’était mon expérience. C’était moi. (Laurent Terzieff)
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■ © éditions Fario, 2019
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28/02/2014
Arséni Tarkovski, L'avenir seul, éd. Fario
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L’avenir seul
ARSÉNI Tarkovski
Editions FARIO, 2014
traduction et présentation deChristian Mouze
poSTFACE (texte de 1962) Anna Akhmatova
Site éditeur | © http://www.editionsfario.fr/spip.php?article161
SOUS l’Étoile double des Tarkovski pÈre et fils
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 27 FÉVRIER 2014 │MEDIAPART│© Patrice Beray
La récente publication d’une anthologie de poèmes traduits du russe d’Arséni Tarkovski, père du cinéaste Andreï, permet de vérifier que s’il y a des enfants prodiges en art, il arrive aussi que des ascendances s’y exercent avec prodigalité. En art comme dans les sentiments, il arrive que l’histoire retienne le caractère double de certaines destinées. Ainsi, en 1962, l’année même où Andreï Tarkovski réalise sa première véritable œuvre cinématographique avec L’Enfance d’Ivan, son père Arséni, à l’âge de 55 ans, publie de son côté son premier livre de poèmes. Aussi tardif que cela puisse paraître pour une première publication, c’est ce poète pourtant qu’Anna Akhmatova désigne alors comme l’un des plus importants révélés par la dernière période du « dégel » sur les lettres soviétiques, après la mort de Staline.
Né en 1907, en Ukraine, Arséni Tarkovski est l’enfant de ce siècle guerrier et révolutionnaire jusque dans ses apprêts techniques. Dans ces langes avec son fils Andreï se dessine la filiation de cette psyché moderne du visible qu’est le cinématographe. Il en ira de l’un à l’autre, d'un art à l'autre, comme de la métamorphose des mêmes visions saisies à l’état natif. Nul autre sans doute qu’Arséni pouvait confier à son fils après avoir vu son film Le Miroir : « Andreï, ce ne sont pas des films que tu fais. »
Sur le site : Médiapart
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