Rechercher : sur les routes du monde vol III
Nicolas Bouvier, Oeuvres (une lecture de Nathalie Riera)
Hommage àNicolas Bouvier
(1929-1998)
© Photo : Nicolas Bouvier dans les années 1950 (Keystone)
(SUR LE SITE DE THIERRY VERNET)
■http://www.thierry-vernet.org/
« (…) Nous avons tous une boussole dans la tête, plus précieuse que l’or des Incas. » Nicolas Bouvier [1]
« Un voyage, fût-il de mille lieues, commence sous votre chaussure. »Confucius
« Incantation de l’espace, décantation du texte
ou être un miroir promené le long d’une grande route »
[[2]]
Par Nathalie Riera
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« Le déplacement dans l’espace peut être un sésame pour certains… »
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Voyager c’est avoir une certaine passion. Chez Bouvier, c’est avoir « la passion des points cardinaux », et parmi les 4 points, sa première direction sera le Nord, en lien avec ses premières lectures d’enfant. Un premier départ, durant l’été 1948, pour la Finlande, Helsinki… jusqu’en Laponie. Il survole le pays des 60 000 lacs. Le Nord lui fait signe de bonne heure ! : « … à sept ans je dessinais de l’ongle sur le beurre de ma tartine le cours de la Volga ou celui du Haut-Orkon, je savais fendre au couteau les naseaux d’un cheval pour qu’il galope encore dans l’air raréfié par le blizzard, et claquais de la langue pour stimuler les onze chiens de mon traîneau. » ([3])
Faut-il croire que voyager c’est retrouver un chez-soi ? De la Laponie à Paris : « Helsinki, Turku, Abo, c’est des endroits où je me sentais chez moi, encore plus en Laponie parce qu’il n’y avait personne, ici je me sens rudement « chez les autres » et il y a trop d’autres. » Une vie de voyages ne peut que répondre à un projet personnel. Nicolas Bouvier rendra compte du monde, de son usage du monde. Mais la disposition, autant physique que mentale, du « vivre ailleurs », et le goût à une vie itinérante, ont aussi leur genèse dans la constellation familiale. Le père, polyglotte « grand érudit et sourcier des grimoires », est directeur de la Bibliothèque universitaire de Genève, et il n’est pas inutile de préciser que la complicité père-fils jamais démentie s’avère comme un puissant pilier pour le « gamin bouffeur de livres à la chandelle clandestine ».
« … j’avais eu mes éblouissements : London, Rimbaud, Melville, Michaux, mais le véritable goût des mots m’est venu lorsqu’il a fallu les choisir, durs, lourds dans la main, polis comme des galets pour enluminer mes modestes icônes avec l’or, le rouge, le bleu qui convenaient, et pour tenter de faire du spectacle de la route un de ces Thesaurus Pauperum à majuscules ornées d’églantines et de licornes… » ([4])
Faire l’apprentissage de l’état nomade, regagner les vastes champs magnétiques, accéder à d’autres lieux « où les choses les plus humbles retrouvent leur existence plénière et souveraine », né le 6 mars 1929 au Grand Lancy, près de Genève, Nicolas Bouvier souligne, contrairement aux idées reçues, la manie de l’expatriement chez les Helvètes :
« Prenez au XVIème siècle le médecin Paracelse ou l’helléniste humaniste Thomas Platter, marcheurs infatigables franchissant les cols alpestres, de la neige jusqu’aux hanches, pour passer de Kiev à Salamanque, de Lübeck à Tunis et enrichir ou transmettre leur savoir, leur imago mundi. […] Plus près de nous : les voyages transsibériens de Cendrars, les enquêtes amérindiennes de Métraux, les randonnées verticales d’Auguste Piccard dans la stratosphère ou sous-marines dans la fosse des îles Tonga, les vadrouilles érudites d’un Charles-Albert Cing
16/04/2014 | Lien permanent
Georges Braque (vu par Francis Ponge)
Francis Ponge, « Braque-Japon»
Sa face profondément creusée d’ornières verticales, est fortement hâlée.
Des yeux extrêmement clairs s’y lèvent, vers l’horizon – constitué ici par la série de ses tableaux en œuvre, alignés à une certaine distance (quasi panoramique : l’atelier est fort vaste) comme des bateaux croisant au large.
Comme, un jour, je disais à Braque qu’il m’évoquait ainsi quelque marin : « Oui, me dit-il, mais je me sens aussi comme un jardinier. Ces tableaux – et il tendait le bras vers eux – poussent tout seuls. Il suffit que je les surveille et, bien sûr, les aide un peu, par moments, en y allant couper quelque branche, dégager quelque pousse, en les émondant quelque peu. »
(…)
Braque, qui ne force jamais son talent, qui ne s’oblige jamais à peindre, s’oblige par contre toujours, d’ailleurs le plus naturellement du monde, à rester à la disposition de ce talent. Il tient à la fois son corps et son esprit dispos, en les conservant dans un loisir plein de ressources. Il tient toujours sa main prête. Il tient toute son expérience, toute sa mémoire d’artisan ou de praticien en réserve – et tous ses outils à portée de cette main et de ce génie et de cette mémoire, en parfait état de fonctionnement.
(…)
Oui, Braque se maintient dans un risque perpétuel, ce qui fait de lui le plus jeune des maîtres (…) Comme le moindre mécanicien de village est obligé de se tenir au courant des derniers perfectionnements de la mécanique ou de la carrosserie automobile, et d’y adapter son esprit quasi immédiatement … mais son travail se fait en plein air, en pleine terre, sur la route, en pleine saison vraie de la campagne, du perpétuel…
(…) sa gloire, par certains côtés éblouissante, ne ressemble pas à toutes les autres. Les gens futiles, les excités de toutes les modes, les « critiques » et les professeurs à la petite semaine l’oublient parfois dans leurs énumérations. Mais il est sans rival dans le cœur des poètes. Il s’y est greffé à jamais.
Francis Ponge, « Braque-Japon », L’Atelier Contemporain, éd. Gallimard, 1977
29/12/2010 | Lien permanent
Guennadi AÏGUI
Guennadi AÏGUI
Sommeil Poésie Poèmes
[extraits]
Guennadi AÏGUI
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Extraits
ÉDITIONS SEGHERS/AUTOUR DU MONDE – 1984.
Traduit du russe par Léon Robel
« il était comme une clairière le pays
le monde – comme une clairière
et il y avait des bouleaux-fleurs
et un cœur-enfant
et comme ces bouleaux-fleurs étaient par le vent de ce monde soufflés
et des roses-neiges
entouraient comme d’anges-mendiants le soupir
des sans-parole villageois !... et avec leur Lumo-Pitié
ensemble
illuminaient
/ ici – lieu d’un silence
aussi long
que l’infini de leur vie /
nous nous appelions – de Cette Lueur maints
chacun renforçant
la vivante luminescence
secondement dans la douleur
/ ici aussi
même
silence /
et étions écoutant : que dira la pureté d’un mot unique ?
sans cesser
rayonnait :
le monde-pureté »
1975
Extrait de « O OUI : PATRIE » – p.9.
***
à M. Roguinski
« Un champ parsemé de journaux ; le vent les emmêle (il n’y a ni début ni fin). J’erre tout le jour, examine avec attention : le titre est partout le même (et même l’oubli : j’oublie et j’examine – le temps passe : impossible de me souvenir) ; avec le même portrait partout (et de nouveau, l’oubli). Où suis-je ? où dois-je revenir ? Vent ; absence de routes ; froissement de papiers ; la Terre entière n’est que ce champ ; ténèbres ; solitude. »
1979
Extrait de « GOUACHE » – p.101.
***
« et quelque part
se tient jusqu’à ce jour
une petite femme
et quelqu’un transporte – en ses yeux indifférents – comme des cercles de soleil
le scintillement mauve de sa robe
et entre ses épaules et les miennes entre son cou et le mien
entre mes manches et ses manches
il y a l’herbe poussiéreuse les rails chauffés à blanc
et les rochers brûlants
des villes et des monts
mais à part moi nul ne sait
comme sont chauds ses coudes là-bas dans la manche
et quelle particulière
vulnérabilité de la démarche se dissimule
en cette station
frêle-penchée
– et il n’y a rien de plus audible que le silence
de plus fidèle que la douleur de plus clair que l’angoisse !
et longtemps encore le séjour longtemps
dans le monde le séjour longtemps / rien ne parvient jusqu’au sens « depuis longtemps » /
et vivante sur la terre
elle n’a pas encore quitté les hommes
quelque part elle se tient à présent aussi
la petite femme vêtue d’une robe rouge
– et il n’est rien de plus infini que la fin
et les buissons mauves de l’euphorbe
s’agitent la salissant de poussière du chemin
jusqu’à la ceinture
et ils deviennent plus hauts et plus larges
et plus éclatants que sa robe »
1958
Extrait de « PROLONGEMENT DU DEPART » – pp.133-134.
***
[…] Ce qu’écrit Aïgui ne ressemble à rien de connu en Russe. C’est une sorte de synthèse organique entre trois traditions très différentes : l’avant-garde russe poétique et picturale du XXe siècle (Malevitch est pour Aïgui une référence privilégiée), la poésie française moderne et la culture populaire tchouvache. La syntaxe en est souvent désarticulée, de manière à offrir plusieurs possibilités d’interprétation simultanées et à dire en même temps les difficultés de la communication en notre temps. Les images souvent surgissent des tréfonds de la mémoire. La ponctuation très personnelle permet par les trait d’union des coagulations ou cristallisations de sens (plusieurs mots se fondent en un seul) tandis que les tirets, les point d’exclamation marquent des brisures et des envols du rythme. Des néologismes parfois apparaissent comme de nouvelles évidences de la pensée ; des rimes ou des mètres réguliers enfouis ou démontés et reconstruits sont des indices de l’immense travail sur le système de versification accompli par Aïgui. Ce qui est à l’œuvre ici c’est véritablement une « pensée rythmique » qui, par son mouvement même, nous porte vers la saisie de son objet. Ce qui fait que le mouvement rythmique est inventé pour chaque poème. […]
Extrait de « DU TRADUCTEUR AU LECTEUR… » par Léon Robel – p.157.
■ À CONSULTER:
En attendant Nadeau : Aïgui le simple par Odile Hunoult : CLIQUER ICI