Rechercher : claude minière
Zhou Shichao par Claude Darras
Portrait Claude Darras
Zhou Shichao
Le nouveau monde d’un peintre lyrique
Avril 2013 © Claude Darras
DOSSIER PDF COMPLET (à télécharger)
25/04/2013 | Lien permanent
Fabienne Juhel (par Claude Darras)
Lecture Claude Darras
Fabienne Juhel
Les Oubliés de la lande
Editions du Rouergue (collection la Brune), 2012
Une satire sociale sur le mythe de l’immortalité
____________________________________________________________________________
■■■ Au début, le lecteur est happé. Quel mystère ce septuagénaire parisien vient-il dissimuler à travers les barbelés de ronciers et les bouquets de bruyère de la lande bretonne ? Et pourquoi abandonne-t-il sa carte d’identité sous une pierre de cairn ? Nourrit-il l’intention d’avaler son acte de naissance au terme d’une harassante randonnée ? La suite de la narration enseigne qu’une femme de 107 ans rencontrée dans une gare lui a livré le secret d’un village improbable de Bretagne où le temps s’est arrêté. Autrement dit, les habitants de la cité échappent au vieillissement et, par conséquent, à la mort, à la seule condition qu’ils ne franchissent pas les frontières de ce No Death’s Land, expression calquée sur celle du no man’s land (No pour « pas », Death pour « mort » et Land pour « terre »). À l’instar de tout autre communauté, la population dudit village, qui vit en autarcie en cultivant les fruits des champs et de la forêt, rassemble une collection très ordinaire d’individus, familles, couples et enfants, venus se réfugier là afin de fuir des vies ratées, des amours blessés, voire quelques crimes et délits. Un jour, la quiétude du lieu est profanée par l’apparition de la mort, celle d’animaux de la lande sacrifiés ou crucifiés selon des rites funéraires barbares… Je n’en dirai pas davantage pour ne pas déflorer prématurément les ressorts et les conclusions de l’intrigue.
Au début, le lecteur est pris, disais-je. Et puis, il relâche son attention. Son attente romanesque est déçue, semble-t-il, car la substance du discours se délite et l’histoire bâtie sur le mythe de l’immortalité - de la vie éternelle - reste banale, convenue. Fabienne Juhel - Fabienne Le Chanu à l’état civil (née en 1965 à Saint-Brieuc) - sait pourtant débusquer dans les sortilèges des Côtes-d’Armor le tragique, le cocasse et le sublime de la vie ; elle possède le sens du détail, du croquis, de la touche qui charpente la satire sociale de certains de ses précédents ouvrages à la plume trempée dans le champagne demi-sec. L’écrivaine et professeur de lettres poursuit un long compagnonnage avec l’écrivain Tristan Corbière, le poète des « Amours jaunes », précise son éditeur. Des raisons suffisantes pour attendre de nouveaux textes qui convaincront, je l’espère en tout cas, les lecteurs sceptiques dont je reste.
■■■ Claude Darras, novembre 2012
À lire du même auteur : La Verticale de la lune (éditions Zulma, 2005), À l’angle du renard (Le Rouergue, 2009) et Les Hommes sirènes (Le Rouergue, 2011).
10/11/2012 | Lien permanent
Poémier d'aujourd'hui, par Claude Darras
Lectures de
Claude Darras
PoÉmier d’aujourd’hui
Poètes singuliers d’une poésie plurielle :
de l’arc-en-ciel à la foudre
© Les carnets d’eucharis, 2012
Richard Skryzak
Brigitte Gyr
Fawzi Karim
Cristina Castello
Rien de plus difficile que de parler de poésie, d’échafauder ne serait-ce qu’une note critique qui rende compte d’un recueil ou d’une anthologie. Répèterai-je l’avertissement de Louis Aragon quand il prétend qu’« il faut être fou pour écrire sur la poésie » ? « La poésie se fait, elle ne s’explique pas, argumente-t-il en préface d’un texte intitulé Y en 1968. Celui qui parle de poésie est fou parce que la poésie commence où l’on passe dans l’incommunicable. » Non, à vrai dire, je ne renouvellerai pas la semonce aragonienne. Je préfère me réfugier dans le pari de Jean Cocteau qui incite à rendre communicable l’incommunicable de l’écriture poétique. Dans cette perspective audacieuse, j’ai choisi sur l’étal de mes lectures quatre de nos contemporains pour lesquels la poésie est un prisme qui, de la lumière terne des quotidiens, fait jaillir les sept couleurs, sources de nuances infinies et d’écritures plurielles.
L’arc-en-ciel de Richard Skryzak
Le phénomène météorologique lumineux est au cœur de la démarche du premier d’entre eux. Vidéaste, écrivain et professeur à l’École des beaux-arts de Dunkerque, Richard Skryzak (né en 1960 dans le Valenciennois) est un médium qui a apparié l’arc-en-ciel à un « bouclier poétique », troquant la brosse du peintre contre le caméscope du vidéaste. Voyant de la même tribu qu’Arthur Rimbaud, il sait depuis des lustres que le poète n’est pas seulement celui qui utilise les mots. Il est celui qui créé, au sens grec du verbe, avec des notes de musique, des couleurs, des volumes, des architectures, des images et des ondes… L’essai « Résonances d’un souvenir florentin » est loquace à décliner les nouvelles couleurs du spectre que l’auteur a ajoutées à sa lyre. Mais c’est sans doute ce livre-là qui restitue la pluridisciplinarité féconde du poète, tout à la fois pédagogue, militant, novateur et philosophe. L’écriture s’y déploie selon plusieurs registres où il est question de Guglielmo Marconi, l’inventeur de la TSF, du Jacques Tati de « Playtime » et de la révolution picturale d’un Caravage qui peint en rouge-sang. Ce poète-là est un médium, disais-je ; il est aussi un médiateur providentiel dont les actes publics, en Palestine, aux Pays-Bas ou au musée de l’Orangerie à Paris, prouvent que l’isolement des poètes et de leurs lecteurs n’est pas une fatalité et que la poésie n’est plus réservée à la délectation de quelques initiés.
Que serait ce monde sans la Beauté
du Voir ?
Ce que je t’offre regardeur
c’est l’hospitalité de ma vision
…
Le ciel est mon seul
lieu d’exposition
Chaque œuvre une étoile
chaque pensée un scintillement
chaque parcours une constellation
(Extrait de « La constellation du vidéastre », 2009, dans « Résonances d’un souvenir florentin »)
Brigitte Gyr, artiste en sertissage
Avocate devenue traductrice et auteure dramatique, Brigitte Gyr (née en 1945 à Genève) manie la langue française avec une savante exactitude. Artiste en sertissage, elle sait enchâsser l’enfance retenue dans les mailles du passé, l’émotion passagère, les variations de la lumière, les mélodies du vent ainsi que la nostalgie implacable qui fait monter les larmes. Elle possède une façon fulgurante d’approcher par éclats, ruptures, rejets et résidus de mots la mécanique des cinq sens, de tutoyer l’absolu et de fusionner choses et mots, cris et gestes, matière et lumière, dans un vertige rituel sans fin. Nul déguisement verbal chez elle : le langage est en constant déséquilibre, le poème s’esquisse et s’esquive sans cesse. Nous resterions sur notre soif si nous ne relisions pas ces textes dans leur double irrégularité métrique et narrative, poèmes que nous sommes parfois amenés à déchiffrer avec lenteur, comme nous dégusterions une tasse de thé brûlant.
…
l’interminable jeu de l’oie
de l’enfance
avant
retour à la case départ
…
l’approximative
roulette russe de l’enfance
on vit on meurt
cueillette des champignons
partie de colin maillard
au fond des bois
…
(Dans « Parler nu »)
Fawzi Karim : les couleurs de la palette et les soupirs de la partition
Né en 1945 à Bagdad, vivant à Londres depuis 1978, Fawzi Karim est traduit par son ami Saïd Faran, peintre et écrivain bagdadi. Ce poète et critique musical emprunte à l’alphabet et à la clef de sol pour dire sa colère, ses doutes et ses espérances. Aussi son texte, « Non, l’exil ne m’embarrasse pas », est-il une composition typographique semée de signes et de blancs qui sont tantôt les couleurs de la palette tantôt les soupirs de la partition. Il est de ceux que l’histoire et la folie des hommes ont meurtris et qui ont misé sur le langage, sur son pouvoir contestataire et salvateur. Loin de tout formalisme, l’écriture brève et nerveuse a la lisibilité immédiate d’un fait-divers ou d’un instantané photographique. Son témoignage séduit par sa simplicité (toute apparente) et cette sorte d’« arrêt sur image » qui révèle la souffrance de l’exil et les conditions du déracinement.
Qui sommes-nous, sinon la colère d’un aveugle
guidé par le fil du labyrinthe
Un dé jeté sur la face de la nuit
dont le roulement ne fait plus d’écho.