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Claude Minière... et le monde dans son ordre par la justesse d'un trait
NOTE DE LECTURE
Par Nathalie Riera
15 avril – Écrites à Paris, à Londres ou à Oziers, ces pages du Journal accompagnent Hymne. À travers elles, je me fais le compagnon de mon poème, de son achèvement. De son départ et de son achèvement.
Claude Minière, Pall Mall, journal 2000-2003 – (p.77)
Pall Mall
Journal 2000 - 2003
Claude Minière
Editions Comp’Act, 2005
Le journal ne se veut pas lieu de confessions, et le poème ne cherche pas à rendre plus compréhensible le réel. Journal et Poème esquissent un vaste projet : demeurer lié au monde afin que le monde ne vous hait pas.
L’interrogation ne cherche pas de réponse, elle est action de remonter, de soulever, elle n’est qu’exigence de penser, à l’opposé des manières du monde et de ses vanités à ne vanter que le faux et son escorte de vulgarités.
Se défaire de l’ornement, taire le discours. Ne pas s’attarder, mais devancer. Toujours, devant, la voix menue du cœur qui aime à donner étreinte, qui aime à toujours aimer, ne pas rester dans le malheur, comme l’écrivait Hölderlin, mais chanter.
Ma poésie au fond répond à ce désir – « l’enfance retrouvée à volonté » - sans pathos, de corps immédiats, de traits et retraits, de bord de l’eau, de gestes sans jugement au rythme des feuillages. Exulter au cœur du monde.
Naître de l’esprit est nourricière du chant. La poésie de Claude Minière est certes vouée aux éléments familiers du quotidien, mais aussi et surtout à la liberté des espaces, aux paysages présents et dérobés, à ce qui fait rêve sans futiles rêveries.
Le journal est moyen de faire partir le poème, de passer par le poème, de passer par ce que l’on connaît et qui nous est nouveau. Et le poème est moyen de se tenir dans l’instant, toujours rester en la vérité, poursuivre l’enquête.
5 avril – Anna Dina Nurabelle. Plus fluides, les pensées doivent se faire plus fluides pour la sécheresse de l’arc-en-ciel, et comme « atomiques », pollens de lumière flottante.
Sécheresse d’une époque à laquelle quelques contemporains nous rappellent (à la manière d’Hölderlin) que peu de savoir nous est donné, mais de joie beaucoup.
Entre autre joie, celle du regard qui s’attache encore au sol, dans le vert profond d’une herbe, où les écrits ne flétrissent pas.
A la 112ème page de Pall Mall, le 16 novembre 2003 : Comment peut-on avoir encore envie, aujourd’hui, de publier ? Tout tombe dans la quantité à plat. Quant aux « critiques », il semble que Hymne les ait littéralement laissés sans voix. Aucun de mes livres n’a recueilli aussi peu de commentaires. Je pourrai dire que c’est bien ainsi : comment taire, comme enterre. Mais ce silence « gêné » rend d’autant plus précieux et vifs les rares gestes : celui de Marcelin Pleynet (et son invitation dans l’émission radiophonique « Surpris par la poésie », sur les ondes de France-Culture) ; celui de Pascal Boulanger (et l’article qu’il a écrit, qui paraîtra dans art press).
© Nathalie Riera, septembre 2009
06/09/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Pascal Boulanger, Confiteor (une lecture de Claude Minière)
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UNE LECTURE DE CLAUDE MINIÈRE
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Pascal Boulanger
Confiteor
Éditions Tituli, 2015
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Pascal Boulanger fait paraître Confiteor aux éditions tituli. Dans le VI° arrondissement de Paris, ces libraires se font éditeurs et organisent des lectures dans leur galerie (www.tituli.fr). L’écriture poétique, dit Pascal Boulanger, « va tenter de renverser la malédiction (la malédiction de toute existence) en exultation. » Pour Confiteor, il a regroupé ses notes et paragraphes selon quatre « pôles », en quatre chapitres : L’enfance des choses ; Imprimer un monde ; Liberté divine ; Poésie politique. « Mon écriture alors s’ouvre au hasard, aux circonstances, aux accidents ». Ce qui fait la logique même de Pascal Boulanger : il ne réclame pas l’adhésion. Mails il a des soutiens, des amis en écriture, en pensée, et dans la lutte. Avec Baudelaire, il revendique le droit de se contredire. Comme Claudel, pour une célébration du passage et de la haute alliance (célébration pascale) il fait feu de tous bois (« Le laurier, s’il y en a, ou la palme encore mieux s’il y en a, ou le rameau d’olivier, ou le buis tout simplement… » lançait l’auteur de Le jour des rameaux), il force une voie, passe outre, entend lui aussi, « l’accord dans le désaccord parfait ». Il n’épargne pas, ne s’épargne pas et n’épargne personne mais parle avec émotion et gratitude de ceux qu’il aime. « Vivre ses sensations, c’est trouver un hors-lieu, c’est bâtir des stèles de l’enchantement simple ».
Où se jouent les choses ? Qui est à l’abri des fantasmes qui consistent (je tiens que les fantasmes consistent) à imaginer qu’il est au bon endroit, qu’il occupe la bonne position ? Pascal Boulanger bouscule les positions, pousse sa ligne contre les vents des actualités et marées humaines, contre ou plutôt en dehors de l’utilité, des calculs, de la spéculation. Comme Saint Paul, il doit passer par un certain aveuglement pour confirmer son chemin. Il regagne le temps perdu. Sans pruderie, et sans prudence. C’est un nerf de la croyance qui a un sens politique. La croyance longe la foi. C’est pas fini. L’auteur de Confiteor rappelle son avant-propos de Fusées et paperoles (2008, Comp’Pact) : « Aujourd’hui, j’entends toujours les cris effacés du silence, je vois toujours le ciel surgir des draps cachés de la terre… »
Page 57 : « J’ai été confronté, en commençant d’écrire, au psychologisme lourd de mes contemporains, au sociologisme pesant,… » On peut comprendre qu’étant donnée la belle mansuétude qui caractérise l’espèce humaine et les propriétaires d’un supposé pouvoir culturel, le « psychologisme » est une arme (misérable) de découragement. Mais Pascal Boulanger a du courage, du « courage poétique » (selon le mot d’Hölderlin).
Ce n’est pas sans raison que le premier chapitre de Confiteor est pour l’enfance. L’enfance, retrouvée à volonté, et l’archive conduisent à confronter la question « poésie et politique ».
Claude Minière | © Les Carnets d'Eucharis, N°45 - Printemps 2015
À CONSULTER
Le site de l’éditeur | © http://www.tituli.fr/
04/06/2015 | Lien permanent
Claude Darras
Critique d’art et de littérature, Claude Darras, né en 1948, a été Maître de Conférences à l’Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II) où il a dirigé l’enseignement de la presse écrite à l’Ecole de Journalisme et de Communication de Marseille. Formateur au sein d’un programme Med-Media de la Commission Européenne, il a enseigné en Europe, dans les pays du Maghreb et au Proche-Orient. Il poursuit aujourd’hui une activité éditoriale tournée vers les arts et la littérature dans des revues d’art, de lettres et de sciences humaines liées notamment au monde universitaire et à l’école des hautes études en sciences sociales.
Ateliers du Sud - L'Esprit des lieux
Photographies de Maurice Rovellotti
Edisud, 2004
Les vingt-quatre artistes de l’ouvrage " Ateliers du Sud – L’esprit des lieux ", issus d’écoles, de courants et de styles très différents, participent d’une semblable annexion d’espaces que l’écrivain Claude Darras et le photographe Maurice Rovellotti ont cherché à mieux connaître. Maurice Rovellotti n’illustre pas Claude Darras, pas davantage que Claude Darras ne glose sur les portraits de Maurice Rovellotti. Entre la plume et l’objectif, il n’y a pas d’équivalence et de traduction. Il y a deux langues qui modulent les accents d’une émotion jumelle face aux univers singuliers d’artistes français et étrangers que relie parfois l’unique particularité d’être conçus plus ou moins complètement dans le Sud de la France. Sans prétendre résoudre les interrogations existentielles des vingt-quatre peintres et sculpteurs, le présent ouvrage a permis aux auteurs d’entrer avec eux dans un heureux commerce d’esprit et de sensibilité dont la critique et l’histoire négligent trop souvent d’admettre la fécondité. En sorte que ces belles histoires de vie et de passions se doublent de véritables monographies. Le caractère de ces " Carnets d’artistes ", qui ont nécessité vingt mois de patients travaux, est surtout universel : il délaisse la " ligne droite " de la pensée critique dans ses curiosités, campant résolument au centre d’une rose des vents qui s’ouvre sur des cultures et des modes d’expression multiples. Source
Au fil du temps, j’ai acquis la conviction que le langage esthétique impose à l’écrivant de se situer au croisement d’un réseau multidisciplinaire où dialoguent sciences humaines et philosophie de l’art. La condition de « passeur d’artistes » requiert, en effet, une palette de connaissances insoupçonnées. D’une certaine façon, elle procède d’une action militante et complexe. Car elle est à la fois attention, regard, écoute, dialectique, travail des sens et de l’intelligence ; elle voue à l’admiration éclairée et au discernement pertinent une fonction pédagogique qu’il est vital de favoriser pour rapprocher l’art contemporain de tous les publics. (Claude Darras, Avant-Propos, « Passeur d’artistes »).
Ateliers du Sud - L'aventure intérieure
Photographies de Maurice Rovellotti
Editions Gaussen, 2008
Les éditions Gaussen ont publié leur premier ouvrage en avril 2008. Le premier titre, Ateliers du Sud, L'Aventure intérieure, est un recueil de monographies d'artistes (24 artistes du Midi) réunies par Claude Darras.
Pendant deux ans, Claude Darras s'est entretenu avec vingt-quatre artistes ayant établi leur atelier dans le Sud méditerranéen pour en connaître l'individualité et son double, l'oeuvre.
Porté par un puissant désir de découverte, il a recherché les traces de l'aventure intérieure de ses interlocuteurs, créateurs français et étrangers issus d'écoles, de courants et de styles différents.
Maurice Rovellotti signe ici le second volet du portrait sensible de la création contemporaine dans le Sud de la France.
Prochainement
Joseph Alessandri ou la face cachée de l’ombre, monographie du peintre Joseph Alessandri, avec le photographe Jean-Éric Ely, éditions Autres Temps, 2009
Les Trois Fous de Saint-Rémy, avec le photographe M. Rovellotti, monographies croisées des artistes Jan van Naeltwijck, Pierre Pinoncelli et Jean Verame, 2009
23/05/2009 | Lien permanent
Claude Simon
« … (et les femmes en fichu noir, et les filles en robe de soie trop voyantes), bien avant l’ouverture, devant les portes géantes en plexiglass des Galeries Modernes, les vitrines aux mannequins hermaphrodites proposant leur camelote en matière plastique, les soieries en matière plastique, la porcelaine en matière plastique, l’argenterie en matière plastique, avec leur indéfectible sourire lui aussi en matière plastique de même que leurs cheveux, leur charme et leur sex-appeal à l’usage il faut croire de cœur, de sexes et de cerveaux en matière plastique comme sans doute ceux de l’espèce nouvelle qui installe, fabrique et vend vitrines, mannequins et camelote : sorte de ver blanc et mou de fabrication récente, issu – ventre, appétits, cupidité, insolence et paresse – non de l’Histoire, du Temps, de la chair fécondée, mais selon toute apparence du coït entre l’automobile et le radiateur de chauffage central, totalement inapte à se mouvoir autrement qu’à l’aide d’un moteur, à se distraire qu’en technicolor et à se concevoir qu’en monnaie-papier. »
(CLAUDE SIMON - « Le Vent » (pp.79/80), 1957 – Bibliothèque de la Pléiade)
13/09/2008 | Lien permanent
Claude Simon
Archipel et Nord
Claude Simon
Editions de Minuit, 2009
Ces deux textes, inédits en France, sont parus en 1974 dans les revues finlandaises Åland et Finland.
Extrait
fin-land suo-mi : terre des marais
les imaginant peuplées de créatures fabuleuses mi-
hommes mi-poissons encore comme sur ces peintures
où sur le fond de chaux des lignes rosâtres dessinent
des êtres aux torses traversés par une arête médiane de
chaque côté de laquelle s’évasent les côtes incurvées
comme les barbes de harpons
Franciscains moines fanatiques déchaux venus d’où
construire ici un sanctuaire de blocs roses lilas bistre
cyclamen au toit couvert d’écailles peindre le flagellé le
juge en robe prune qui se lave les mains sculpter ces
grappes de sang coagulé
treille aux flancs aux paumes aux pieds percés de
clous où pendent des raisins
la mer l’archipel tout entier montant vers nous L’une
après l’autre en commençant par les plus lointaines les
îles disparurent s’enfonçant l’une d’elles basse à peine
ondulée s’éleva grandit masquant les dernières elle
défila rapidement sur le côté et l’eau rejaillit sous les
flotteurs Ses énormes mains de marin aux doigts épais
et plats aux ongles carrés bordés de noir par le cambouis
cessèrent de s’affairer sur les leviers et les volants
du tableau de bord aux multiples cadrans noirs aux
multiples manettes noires parmi lesquelles elles couraient
les effleurant avec délicatesse comme une anatomie
féminine et compliquée le tapage du moteur cessa
quand il fut assez près il sauta adroitement sur le rocher
et enroula la corde à l’un des pieux de l’appontement
silence touffes d’aulnes sorbiers frissonnant à peine
28/01/2009 | Lien permanent
Claude Dourguin
CLAUDE DOURGUIN
POINTS DE FEU
■ © éditions Corti, 2016
COLLECTION en lisant en écrivant
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Extraits
p. 47
Le souhait de Debussy de « décongestionner » la musique par le plein air, un siècle après on peut le faire aussi bien pour la littérature (la peinture également, à condition de ne pas l’entendre comme un retour à des formes vides – mais Tal Coat, Soulages ou Szafran témoignent avec bonheur).
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p. 56
Moments heureux à la vigne, dans les dernières lumières du jour tant la chaleur est forte. Sur la pente très raide de l’escarpement rocheux il y avait à effeuiller, à couper les entrejets. Avec ceux des ruches, de la lavande, des oliviers, voici bien l’un des plus riches travaux qui soient, à la faveur duquel s’éprouve la satisfaction d’accomplir une donnée naturelle, de l’accroître, de favoriser et orienter son développement vers une qualité sinon une quintessence. L’humanité en nous aussi se réalise – savoirs, pratiques, sensations –, en cet accord parfait avec notre lieu – la poésie ici, vécue, en quelque sorte, quelque dure soit la tâche.
***
p. 69
Chance des peintres, ils peuvent inventer leurs techniques. La création de son propre langage pour l’écrivain existe, certes, elle le définit également, mais sa part de liberté, d’invention est bien moindre parce que la littérature exige tout de même une part de compréhension (l’échec du lettrisme, par exemple, trouve là sa source).
*
Soulages fait référence, pour expliquer l’une de ses démarches, à une phrase de Saint Jean de la Croix : « Pour toute la beauté, jamais je ne me perdrai. Sauf pour un je-ne-sais-quoi qui s’atteint d’aventure. » Cette nécessité – comme en mer de savoir saisir le vent qui survient –, ce don, on ne s’attendait peut-être pas à sa revendication – en termes semblables, qui plus est – par le peintre des noirs trop souvent crédité de la mise en œuvre systématique d’un projet intellectuel.
01/05/2018 | Lien permanent
Lucien Clergue par Claude Darras
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08/07/2013 | Lien permanent
Michel Wohlfahrt par Claude Darras
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Claude Darras
Michel Wohlfahrt ou l’enfance en boucle
Les pérégrinations d’un sculpteur de terre
■■■« Mon enfance me suit, je la tiens par la main » : cette sentence de l’écrivain Louis Scutenaire, il pourrait la faire sienne. De sa prime jeunesse dans l’Alsace de sa parentèle (il est né lorrain, tout à côté, à L’Hôpital, en Moselle, le 23 février 1949), il goûte les fruits amers chaque fois qu’on l’interroge sur la présence de jouets de toutes sortes dans son œuvre sculpté. Autour de la tablée familiale, parmi les sept garçons dont deux ont été adoptés par le père, pasteur, et la mère, d'origine yougoslave, il ne manifeste aucune inclination pour les études et enchaîne les petits boulots avant de suivre un apprentissage de compagnon potier (1965-1967) à Betschdorf dont le grès bleu verni au sel fonde la réputation de la céramique provinciale. Après une parenthèse académique d’une année à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, il prolonge sa formation auprès de potiers drômois de Dieulefit (1968-1969) choisissant à ce moment-là de vivre et de travailler dans le Sud de la France. En 1969, il installe son atelier à Visan, en territoire vauclusien, où il exerce pendant cinq années. Il éprouve alors le besoin de se frotter à des techniques différentes et séjourne pendant un an (1973-1974) chez ses homologues tunisiens de Moknine, au cœur du Sahel oriental. S’il réside dans la Drôme provençale (Beaumont-en-Diois puis retour à Dieulefit), le Maghreb devient consubstantiel à sa création qui échappe de plus en plus à la poterie traditionnelle. En 1985, il rompt avec l’artisanat au profit de la sculpture dont il a montré l’année précédente au musée Géo Charles d’Échirolles, en Isère, ses premières et étonnantes expérimentations.
Le geste originel du potier
Statues immuables, aussi denses que le basalte, mystérieuses comme des hallucinations, lourdes d’expression et fortes d’une puissance démonstrative inouïe, ses sculptures provoquent une impression inoubliable, phénoménale, lorsqu’on en découvre pour la première fois la monumentale et singulière présence (certaines mesurent plus de trois mètres). Sommé de sortir de lui-même et assuré de perdre ses habituelles références de sensorialité, l’observateur s’interroge sur les personnages de terre cuite ou de bronze. Sont-ils héros, divinités, fantômes ou revenants ? Procèdent-ils des mythologies antiques ? Appartiennent-ils au panthéon de tribus millénaires ? Plus certainement, ils distinguent des caractères à la fois spécifiques aux personnages littéraires et dramatiques du corpus universel et aux contemporains que l’artiste a rencontrés au gré de ses pérégrinations. Il est indubitable en tout cas qu’il ait croisé près des étals forains du marché de Belsunce, à Marseille, ces femmes cérémonieusement drapées dont il retient, telle une obsession, une forme de visage presque dure, intransigeante et hautaine. Nul doute qu’il s’est plu à scruter sur les quais des ports marocains et tunisiens les adolescentes portant la burqa, ce voile de visage noir en coton ou tissé en résille, auquel on accroche un bijou pesant pour le maintenir vers le bas. Au gré d’une étonnante galerie de portraits, l’Alsacienne en jupe rouge et coiffe noire à grand nœud vante les mérites du kouglof à une Sévillane en robe de percale à volants, tandis que le toréro coiffé d’une montera en astrakan est décontenancé par les petites cornes du faune sylvestre aux pieds de chèvre qui conte fleurette à une nymphe aussi timide que lui…
L’art sculptural dont il est question se fonde sur le parti de l’épure, la liberté de l’esquisse et la spontanéité de l’improvisation : épure, esquisse et improvisation résultant d’une longue et savante pratique. Il ne s’agit pas d’exprimer avec énergie et vivacité le jeu des muscles, l’élasticité des membres et le frémissement de la vie. Il importe de restituer ce qu’il y a de passager dans les sentiments que reflète le visage, ce miroir de l’âme, ou la contenance de l’être incarné dans la glaise, ce qu’il y a de mobile dans ses affections, de fugitif dans son regard ou dans son sourire. Qu’il confie son premier modèle à l’action du feu, qu’il le modèle en plâtre, qu’il le maçonne en béton ou qu’il le coule en bronze, le geste originel du potier demeure, impérieux et souverain, quand bien même il le livre au paroxysme des ressources sensibles de l’argile, au-delà des limites des concepts de la discipline.
Moraliste et libertaire
Il aime la résistance de la pâte, le côté sensuel des colorations de la terre patinée par les minéraux ou violentée par les oxydes ou la flamme. Sans doute ce goût vient-il de ses origines. L’Est est un pays très coloré, surtout en automne. Dans les régions du sud, le soleil écrase, dévore les couleurs. De plus, dans ses travaux de finition, une chimie particulière de l’acrylique fomente une luxuriance de flamboiements, de délires, d’épiphanies glorieux parmi les personnages, le bestiaire et les jouets qu’il transcende. L’agrégation de ces trois sujets d’élection est quasi permanente dans une œuvre que nulle rétrospective ne pourra jamais mieux montrer que dans ses ateliers gardois de Saint-Quentin-la-Poterie où il réside depuis 1990. Près des machines de levage et des fours encore tièdes, il déballe la vie intime de ses passions. Des milliers et des milliers de pièces collectées dans les marchés aux puces ou dégottées aux enchères des internautes -articles de bimbeloterie et ustensiles de cuisine, objets de bazar et d’antiquaille, jouets mécaniques et jeux de plein air- sont entassées dans des caisses de bois ou en carton avant d’interpréter les premiers rôles dans de futures mises en scène. Dans le parc, entre des empilements de voitures à pédale et des processions de personnages austères et filiformes sur la tête desquels il a fiché des soldats de plomb ou des bibelots en laiton, le visiteur se faufile entre des landaus et des tricycles et il aperçoit des bêtes à corne montées sur roues, très proches, somme toute, des attelages, miniatures ceux-là, offerts aux enfants dès la plus haute Antiquité. Les invraisemblances cohabitent ici avec le plus grand réalisme. Cette disposition au jeu héritée de l’enfance, et que trop d’êtres ont perdue, constitue une des sources vives de son inspiration. Savoir cela peut aider à ouvrir certaines serrures de son œuvre. Tout aussi indispensable à l’intelligence de sa sculpture, la rébellion innée qui l’incite à célébrer le 14 juillet 1989, à La Mège, le bicentenaire de la Révolution française en plantant sur les cimes du mont Blanc 50 000 balais aux trois couleurs nationales, chacun d’entre eux portant un petit masque de bronze sous la brosse. Hommage au balayeur des rues qu’il a côtoyé durant sa jeunesse de pain noir, cette performance ainsi que les expositions qu’il montre au-delà des frontières du pays (Allemagne, Canada, Grande-Bretagne, Italie, Japon, Maroc, Sri Lanka, Suisse et Tunisie) révèlent deux individualités distinctes, à l’image de ses personnages janusiens (de Janus, la divinité aux deux visages) qu’il nomme des volte-face, d’un côté le moraliste railleur qui rit de tout et de lui-même, de l’autre le libertaire pugnace qui continue de lutter contre l’injustice. ■■■
Claude Darras
Les carnetsd'eucharis (mai 2012)
Photo © Dominique Bernard
DOSSIER PDF COMPLET (à télécharger)
Michel Wohlfahrt_ par Claude Darras_Les carnets d'eucharis 2012.pdf
(ATTENTION : Le téléchargement peut être long)
13/05/2012 | Lien permanent
Claude Dourguin, Chemins et Routes
■ Claude Dourguin
Claude Dourguin
Poésie, Récit, Essai
■ LIEN :http://www.champ-vallon.com/
[…]
Régularité quasi cyclique, mouvement quasi migrateur, la route reprise est exploration, approfondissement, souci systématique d’un savoir. Car ces cheminements ignorent l’ignorance : gens, matériel, itinéraires font l’objet de préparatifs, de projets. Mais part est laissée à l’inattendu, curieux l’esprit s’ouvre à la rencontre, ainsi d’un joueur de cithare auprès duquel apprendre, une disposition intérieure fait savoir accueillir ce qui se présente, posément.
------------------------- (p.86)
[…]
L’amour des paysages, terres d’altitude et forêts spécialement, habite Stifter, des pages longues en précisent le caractère, les particularités, disent leurs détails et leur organisation. Le héros de L’ARRIERE-SAISON, marqué par le goût et le sens de la montagne, sans se lasser évoque les sentiers difficiles, les barres, les hautes vallées où l’on suit le cours des torrents, leurs végétations buissonnantes, les roches massives, les arbres esseulés – « […] pas un arbre, pas le plus petit buisson, pas une maison, pas une cabane, pas un pré, pas un champ, rien d’autre qu’une herbe misérable et des rochers. »
Délivré des contingences historiques et sociales – de là, sans doute, sa fascination singulière –, le parcours impose sa seule marche, va, intemporel, guidé par la seule présence des saisons, de leur succession, de leur avancée dont il permet l’observation fine – on remarque « l’état des frondaisons, l’aspect des plantes […], le comportement des animaux […], l’état de leur fourrure », la variation des teintes, les brouillards, la neige, les ruisseaux gelés. Toujours la toute-puissance du règne naturel expose ses lois, édifie l’observateur que soutient la conviction de l’existence universelle d’un ordre – bienfaisant. Des constructions, des chapelles également à travers le pays témoignent d’une antique aspiration à l’art ; souci esthétique lui aussi essentiel (les demeures, déjà abritaient des tableaux illustres), on ne manque pas de s’y rendre, de les visiter, d’observer les sculptures, les boiseries, d’en faire parfois des relevés. Aussi, formé par la route qui offre ses expériences, avance-t-on nourri, fortifié, mûri, édifié. Egalité d’humeur, ni angoisse ni doute, ni découragement, c’est un accomplissement serein, sans épreuves – singularité – que connaît le héros à mesure qu’il voyage et arpente. Il faut regarder ce qui se présente – fût-ce, apprendra-t-on, « les phénomènes anodins », l’étude, le sens viendront par surcroît.
------------------------- (p.87/88)
CHEMINS ET ROUTES
Claude DOURGUIN
Isolato, 2010
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Claude Dourguin a publié aux :
Editions Solaire-Fédérop
L'Archipel, 1984.
Villes saintes, 1988.
Editions Champ Vallon
La Lumière des Villes, 1990.
Lettres de l'Avent, 1991.
Recours (Patinir, Lorrain, Segers), 1991.
Ecarts, 1994.
Un royaume près de la mer, 1998.
Escales, New York, Dublin, Naples, 2002
Aux éditions Isolato
Laponia, 2008
Les nuits vagabondes, 2008
Chemins et Routes, 2010
La peinture et le lieu (à paraître)
Aux éditions José Corti
Ciels de traîne, 2010
Elle
29/03/2012 | Lien permanent
Jean-Claude Mathieu
Écrire, inscrire,
Éditions José Corti, 2010.
L’objet de ce livre est l’écriture, telle qu’elle se réfléchit au miroir des inscriptions. Une ligne somnambule avance, un écrivain essaie d’éclaircir son geste obscur et, à défaut de savoir ce que sont les traces qu’il laisse, il entrevoit parfois ce à quoi elles ressemblent : des traits dans le sable, des tatouages sur la peau, des lettres sur une tombe, sur l’écorce des arbres, des graffiti aux murs, des signes d’écume, des noeuds d’air. Nées de gestes de l’enfant, compliqués et ritualisés par l’adulte, les inscriptions ont semblé des révélateurs de l’écriture, qu’elle s’appuie sur leur exaltation ou grandisse sur leurs ruines, que l’écrivain les déchiffre ou rêve d’en graver. Quand le texte de l’inscription s’élève à l’impersonnel, que résonne à travers un discours subjectif la voix de Personne, c’est le désir de tous et de chacun, les jeux de l’enfant, l’inconnu de l’origine, l’angoisse de la mort qui s’exposent. Restituée et resituée dans un livre, elle creuse ce qui était resté énigmatique, dans l’enfance, le désir ou le deuil. Si l’écrivain entrevoit ses fantasmes, choisit un modèle imaginaire, gravures dans la pierre ou traces dans le sable, l’inscription se révèle alors comme une microécriture où se condensent les enjeux du macrocosme de son oeuvre. http://www.jose-corti.fr/titreslesessais/ecrire-mathieu.html
Du même auteur chez Corti : La poésie de René Char ou le sel de la splendeur (2 tomes) ; Jaccottet, l’évidence du simple
24/05/2010 | Lien permanent