19/05/2012
Anise Koltz
Je renaîtrai
Anise KOLTZ
Lecture Georges Guillain
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■■■ Anise Koltz est née au Luxembourg, le 12 juin 1928. Poète, elle est l’auteur d’une œuvre importante écrite en allemand, en français et en luxembourgeois.
En 2008, le Prix de Littérature francophone, Jean Arp[1], lui a été remis. Elle préside aujourd’hui l’Académie européenne de Poésie.
Ouvrage d’une grande dame de plus de quatre-vingts ans, Je renaîtrai – un titre significatif bien entendu - frappera d’abord par le caractère énergique d’une poésie n’accordant rien à la nostalgie, toujours résolument tournée qu’elle se veut, vers le présent et l’avenir. Cette disposition s’accompagne d’une ouverture au monde, inquiète et large, couvrant aussi bien les territoires secrets de l’intimité que la réflexion avivée sur la langue, pour ne rien dire de notre précaire et violente condition.
Les textes de ce recueil sont en général brefs, composés de strophes et de vers courts. Cela confère à chacune de ces pages, pouvant être prise isolément, une netteté, une efficacité, auxquelles la force particulière de l’expression, le plus souvent ancrée à la première personne, communique une sorte d’évidence mystérieuse, de clarté pénétrante qui pousse à la réflexion.
Allant systématiquement à l’essentiel, le poème d’Anise Koltz s’attaque en effet aux plus hautes questions qu’elles soient, par exemple, celles de l’être confronté à ses profondeurs adverses comme dans ce texte intitulé En moi : Des loups vivent en moi/ hurlant dans mes plaines enneigées// Crèveront-ils/ ou les égorgerai-je ?
celles de l’individu réagissant à certaines formes de barbarie sociale: Les disciples de Dieu/ marchent au pas de guerre// Leurs souliers/ font éclater les pavés// Je n’ajoute pas mon pas/ au leur// Berger de mes péchés/ je pars en transhumance
ou celle encore des oppressantes relations familiales: Mon père est mort// Mais son couteau de sacrifice/ reste brandi au-dessus de ma tête/ il me menace/ dans la lune croissante et décroissante// Tandis que le jour tombe/ au bord du chemin.
La relation d’Anise Koltz avec le monde est à l’image de ce qu’elle nous dit, à la page 108, de son rapport particulier avec Dieu, fait tout entier d’audace, de volonté de savoir, de comprendre, jamais de soumission, : Dieu/ quand je t’exhorte à me montrer/ ton royaume/ tes murailles/ le torrent du bien et du mal -/ tu me jettes l’enfer à la figure// Moi je t’affronte avec mon sang vivant/ je ne crains ni ton fouet/ ni tes crocs.
On le voit, le livre d’Anise Koltz n’est pas un livre apaisé, apaisant. Pas le livre d’une nonagénaire dont le temps aurait amorti la révolte, l’exigence sinon la sensibilité. Pas le livre non plus d’une aïeule s’essayant enfin à nous communiquer une sagesse plus ou moins lentement ou difficilement conquise. Non qu’on n’y trouve pas le fruit d’une expérience. Bien au contraire. Mais cette expérience qui s’affirme à travers un certain nombre de vers à valeur d’aphorismes ne vient pas tarir l’interrogation ouverte sur la vie, le nécessaire tâtonnement existentiel et le désir profond d’expression, conçu non comme un moyen rassurant de se définir mais comme perpétuelle et anxieuse réinvention de soi : D’inquiétude en inquiétude/ mon angoisse s’accroît// Je ne transforme pas les mots/ ils me transforment/ ils me hantent/ ils m’observent/ d’un mauvais œil/ Prise de folie/ je me précipite dans le langage/ le maltraitant/ afin qu’il me réponde.
A travers le livre de cet important poète de nationalité luxembourgeoise qui a choisi de s’exprimer à travers notre langue, ce qui finalement s’affirme, c’est le tête à tête irréductible avec la vie d’une personnalité forte, certes, parvenue au soir extrême de son existence mais qui ne renonce toujours à rien de son énergie créatrice et de sa volonté d’être.
Tu es le continent/ que je découvre// Je débarque en toi/ avec ma caravelle// La croix du sud/ oscille dans le ciel/ annonçant d’heureux présages// J’enterre ma montre/ dans le sable.
© Georges Guillain
Anise Koltz est née le 12 juin 1928 à Luxembourg. Je renaîtrai vient d’être publié aux éditions Arfuyen. Le livre est dédié à la mémoire de sa grand- mère.
Extraits
J’ai escorté mon nom
jusqu’à l’oubli
Demain je renaîtrai
surgissant de l’argile
Mon ombre gravite déjà
autour d’une nouvelle effigie
De génération en génération
Ma mère m’a passé sa peau
transmise
de génération en génération
comme un uniforme troué
d’une guerre
longtemps révolue
Nos corps
Nos corps
sont soudés l’un à l’autre
La même formule d’algèbre
dans le sang
nous nous multiplions
Sous notre peau commune
l’univers s’étire et se dilate
Une apparence
Je ne suis pas moi
je ne suis qu’une apparence
Mon image me couvre
telle une vieille couverture
J’erre comme un point d’interrogation
un verbe sans sujet
A la fenêtre
La lune pleine
recouvre les mendiants
de sa lumière empruntée
Tandis que l’odeur du sang
court les rues
une femme suspend
son hymen à la fenêtre
pour le faire sécher
Vous êtes des morts-vivants
Votre soleil est sans feu
vos dieux s’écroulent
dans les temples
Prenez-moi en otage
si vous existez
Montrez-moi vos tombes
je sauterai sur les dalles
qui recouvrent vos yeux
Au-delà de ma mort
je vivrai
je vous combattrai
sous terre
La même langue
Pouvons-nous continuer
à parler la même langue
celle qui a servi toutes les horreurs de la guerre
le mercantilisme
la dévastation
Ne faudrait-il pas la renouveler
comme nous filtrons
une eau polluée
pour faire revivre
plantes et poissons
Refus
Je refuse de renaître
ma route devient trop étroite
Sans repères
je marche avec une boussole
à l’intérieur de mon corps
Suspendue seulement au monde
par une épingle de sûreté
Je me transforme
Mon poème est une cabine
dans laquelle je me déshabille
un rideau épais me séparant du monde extérieur
Confrontée à mon corps flétri
j’envisage d’autres possibilités de vie
je trace des cercles dans le ciel
avec les éperviers
je vois le monde d’en haut
Puis je me transforme en désert
là où vie et mort se mélangent
et où un sable charitable
finira par me recouvrir
Ma tombe
Ma tombe ne sera pas assez grande
j’ai la tête trop pleine
de ceux que j’aime
Il me faudra de l’espace
pour que tous
puissent se mettre debout
dans chacune de mes pensées
Editions Arfuyen
[1] Le Prix de Littérature Francophone Jean Arp se donne pour vocation d’appeler l’attention sur l’œuvre d’écrivains qui ont fait le choix de mener leur travail à l’écart de la pression commerciale et médiatique et privilégient l’intégrité de leur travail sur tout souci de reconnaissance immédiate. Il distingue, pour l’ensemble de son œuvre, un écrivain francophone de premier plan, dont le travail est particulièrement remarquable par l’originalité et la qualité de son écriture, quel qu’en soit le genre, comme par la vigueur et l’amplitude de sa vision.
23:00 Publié dans Anise Koltz | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer | | Facebook