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Nikos Lyberis

 

 

NIKOS LYBERIS

Après le son

La traduction de son dernier ouvrage paru en grec, en août 2014, d'où sont issus ces quelques poèmes a été faite par Brigitte Gyr en collaboration avec Nikos Lyberis, leur auteur.

 

 

 

Les Carnets d'Eucharis

 

Nikos Lyberis | © Vue sur le Canal Grande, en face du Palazzo Moncenigo (à Venise)

 

 

 

 

 

12 - Pétales de soleil

 

Valse enfantine pour piano désaccordé

et fragments de voix

             le crépuscule s'enfonce dans la pierre

Narration conique minée

pour tête sans corps

 

Face aux causalités      les anciennes et les nouvelles

à chaque instant il invente son destin

pour ouvrir des fentes dans les murs de l'horizon

                             pour purifier le sang empoisonné

 

Dans le paysage du son éclosent les fleurs

sons sans début ni fin                     comme un souvenir

clarinette timbre mat dans l'eau

             entière                   à moitié     ou juste un bout

             il a lâché les notes pour accéder à la musique

             dialogue sans paroles superbe

Sons inédits d'un corps compressé

             qui se confie au vent comme en fraude

tantôt murmurent tantôt crient en secret

             formes connues      insuffisantes

mais la géométrie mobile fonctionne

                             formes mouvantes à l'infini

l'espace résonne des jours et des jours après que se sont tus les

                                                                                                   [instruments

 

 

             et l'esprit ingénieux demeure sans voix

Innombrables les faces de l’immuable beauté

Silence empli de sons

 

Il déploie le pont sur l'abîme

pour la fille qui passe en larmes

et dont le temps s'est figé

………………………………………………………………………

 

 

13 - Eclipse

 

Nuit archaïque qui abrite la musique

le regard se faufile dans l'espace inassouvi

             aux confins usés

entre les ombres de ceux qui sont partis

Les murs se retirent d'autres murs arrivent

pour laisser passer

la Reine de Thulé

dans sa main la bible aux pages blanches

             Entre-deux saigné par des cordes hérissées de pics

             une cinquième guerre    totale

 

La spirale du corps amollit les barreaux de la cage

             neuf métaux fondus plus une météorite

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Jean Starobinski / entretiens avec Gérard Macé - (lecture d'Alain Paire)

Jean Starobinski dialogue avec Gérard Macé :

cinq entretiens publiés par La Dogana
lecture d'Alain Paire

J. Starobinski et FR.jpg

Jean Starobinski et Florian Rodari, l'un des responsables de La Dogana

 

En décembre 1999, rue Candolle, dans un appartement proche de l'Université de Genève, Gérard Macé interrogeait Jean Starobinski en compagnie de techniciens de France-Culture requis pour l'émission "A voix nue". Francesca Isidori et Olivier Kaeppelin lui avaient donné carte blanche pour que soient enregistrées cinq demi-heures de conversation qui furent diffusées en matinée, du lundi au vendredi.

Dix années plus tard, parce qu'un invincible "goût d'inachevé" affectait des fragments de leur conversation, les deux protagonistes ont relancé leurs correspondances et se sont de nouveau concertés afin de reformuler par écrit leurs questions et leurs réponses. L'intégralité de leur entretien vient d'être publiée par les éditions de La Dogana. Responsable du fonds Jean Starobinski des Archives littéraires suisses de Berne, l'un des membres du comité de cette maison d'édition, Stéphanie Cudré-Mauroux s'est chargée d'assurer les va-et-vient de ce processus de réécriture.


En guise de titre ainsi que de manifeste pour ce dialogue, Gérard Macé fait réimprimer le début d'une citation de Montaigne qui figurait dans l'incipit de leur conversation : un fragment des Essais qui énonce fermement que "La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui écoute". Une post-face de Macé et un léger appareil critique, des repères bio-bibliographiques, complètent la transcription de cette série d'émissions. La très fine résultante de ces réemplois successifs, c'est à présent la lecture d'un élégant volume de 110 pages qui, écrit très justement Stéphanie Cudré-Mauroux, "prend ici et là des allures de mémoires ou bien de testaments".


Du côté des souvenirs, on découvre bribe après bribe quelques traits de l'existence de Jean Starobinski, principalement des moments d'une jeunesse allègrement formatrice : "Alors que j'étais encore collégien, je me glissais à l'université pour écouter les merveilleuses leçons de Marcel Raymond sur Rousseau". Marcel Raymond fut pour Jean Starobinski l'un de ses meilleurs modèles pour ce qui concerne sa tâche d'enseignant : "Il savait lier les faits à connaître et la réflexion qu'ils appelaient. Il allait droit à l'événement, aux mots chargés du sens le plus provocant et le plus troublant. Il savait soulever une question, pour éveiller une inquiétude, sans la poursuivre, quand elle aurait pu détourner la suite du propos. La construction des parties du cours, l'emploi des cinquante minutes n'étaient jamais en défaut".


Quelques pages auparavant, Starobinski évoque "un évènement bouleversant", les émotions qu'il éprouva pendant l'été de 1939 lorsqu'il lui fut donné de découvrir au cœur des malheurs de ce temps les trésors du Musée du Prado pendant quelques saisons entreposés à Genève. Celui qui continue d'affirmer fortement que les peintres qu'il préfère de très loin, ce sont ceux "qui célèbrent le don de voir. Le bonheur d'une échappée, d'une scène simple", était alors âgé de dix-neuf ans : "Les salles de notre Musée d'Art et d'Histoire offraient Goya, Vélasquez, Greco. J'ai beaucoup rêvé devant "La Bacchanale des Andriens" de Titien qui est aujourd'hui encore un des lieux sacrés où mon souvenir s'attarde... Les salles du musée, en juillet, étaient presque vides à certaines heures. Je tentais de déchiffrer les rapports entre les personnages dans les sublimes "Fileuses" ou "Les Ménines". En un sens, il y avait dans ces œuvres une force, une vérité qui prévalaient. Mais qui n'avaient pas empêché la folie meurtrière".


Les années de guerre furent également celles d'une rencontre déterminante, celle de Pierre Jean Jouve, "la première occasion où un texte de critique m'a été demandé"... "Comme il venait d'achever la grande étude intitulée "Le Don Juan de Mozart", on lui en a demandé des lectures publiques. Il fallait qu'un étudiant tourne la manivelle du gramophone pour faire écouter les exemples musicaux... Et l'étudiant, c'était moi ".


Jacques Rancière a su le rappeler en citant Rilke dans un tout autre contexte, "Perdre aussi nous appartient". Rien de superflu, aucun relâchement, des curiosités polymorphes qui touchent à Georges Canguilhem, à la fleur Narcisse ou bien aux fabriques qui se construisaient au xviiie siècle en bordure de rivière, les citations de cet entretien pourraient être multipliées. On n'oublie pas le grand âge de l'homme dont la radio et l'édition nous restituent la voix. Une parfaite courtoisie, et puis surtout une inflexible capacité de résistance, point de vains regrets chez l'immense critique qui ne laisse pas entrevoir un espoir de dénouement lorsqu'il avoue en fin de partie "une dette qui persiste" à propos de Gérard de Nerval : "Il faut que je reprenne des pages inédites où je cherche à voir comment il a vécu la quasi-simultanéité de ce qui s'annonce et de ce qui se dérobe". Celui que ses meilleurs amis appellent affectueusement "Staro" confirme tout de même, à côté d’un troisième livre à fournir pour la collection de Maurice Olender,  l'imminente parution chez Gallimard d'un livre depuis longue lurette patiemment attendu, son inoubliable titre est emprunté à un passage du Neveu de Rameau : "Diderot : un diable de ramage".


A défaut d'une cascade de livres qu'il ne faut pas souhaiter, ce qui dans ces pages ne cesse pas d'advenir et de fournir d'admirables preuves, ce sont une éthique et une esthétique souverainement joueuses, incroyablement audacieuses par rapport à tout ce qui semble prévaloir dans l'air du temps. Jean Starobinski aura fait de chaque journée de son parcours l'espace d'un combat musicalement livré "pour que le passé humain ne reste pas invisible et muet dans notre présent".


Cet homme des Lumières qui, comme l'indique Gérard Macé, "nous intimide et nous enchante", "rend possible l'avenir". Jean Starobinski réaffirme clairement qu'il "pense en société"  et qu'il travaille en étroite amitié avec d'autres personnes : "Je crois même qu'une vraie recherche ne commence que lorsqu'on se sent en compagnie" ... "Si les circonstances, ou la Fortune, nous sont favorables, notre parole sera une vie qui se propage. Mais elle est aussi, comme tout l'humain, comme tout ce qui possède une forme, bordée par l'oubli, menacée d'effacement. Ce qui est difficile, dans le monde d'aujourd'hui, ce n'est pas de rompre le silence, mais de persévérer, de simplement persister, face au bruit qui se multiplie..."

Contribution d’Alain Paire

 


 


Faute de pouvoir disposer d'une photographie de Gérard Macé pendant les moments d'enregistrement effectués par France-Culture, j'utilise ici un document qui réunit deux citoyens de Genève : Jean Starobinski et Florian Rodari, le principal responsable de La Dogana. Comme l'indique le livre que détient Rodari - les Cahiers pour un temps préparés par Jacques Bonnet qui venaient de paraître à propos de Starobinski - cette photographie date des alentours de 1985.


A propos de Gérard Macé, il faut signaler chez Verdier la parution prochaine, le 5 janvier 2010 de Pêle-mêle, un recueil de textes de Jean-Pierre Richard. Dans l'un des articles de cet ouvrage, J-P Richard évoque chez Macé le portrait réinventé de trois anthropologues.


Le catalogue de La Dogana (diffusion Belles-Lettres et Atheles) comporte trois autres titres où figurent d'importantes contributions de Starobinski : "Le poème d'invitation", précédé d'un entretien avec Frédéric Wandelère et suivi d'un propos d'Yves Bonnefoy (2001). "Goya, Baudelaire et la poésie" un essai d'Y.Bonnefoy qui comporte un entretien avec Jean Starobinski suivi d'études de John E. Jackson et de Pascal  Griemer (2004) ainsi qu' "A tout jamais", lieders de Gustav Mahler interprétés par Bo Skovhus, préface de Jean Starobinski (livre & CD, 2009).


Parmi les projets de livres/ CD que La Dogana concrétise actuellement depuis Grignan, on peut  signaler des enregistrements de poèmes prononcés par Philippe Jaccottet.
En coproduction avec  les éditions Le  Bruit du temps d'Antoine Jaccottet, La Dogana met également en chantier la  traduction et l'achèvement de la biographie d'Ossip Mandelstam composée par Ralph Duti.

Par ailleurs directeur de la Fondation Jean Planque, Florian Rodari sera en 2010 pour plusieurs musées d'Espagne  le commissaire d'une exposition de photographies issues de la Donation Jacques - Henri Lartigue

 

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03/02/2010 | Lien permanent

LES CARNETS D'EUCHARIS - 4ème édition 2016

Les Carnets d’Eucharis [2016]

Couverture - Carnets d'Eucharis - LCE 2016 pour web.jpg

 I à l’attention des contributeurs et lecteurs des Carnets d’Eucharis

[édito]

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Cette quatrième édition des Carnets d’Eucharis s’ouvre sur une « Reconnaissance à Charles Racine » dont on a célèbré en 2015 les vingt ans de la disparition. Il y a en poésie des rencontres déterminantes, la poésie de Charles Racine est de celle qui vous saisit particulièrement. Les éditions Grèges auront participé à ma fructueuse lecture des poèmes du recueil Le sujet est la clairière de son corps que j’ai retrouvé dans une nouvelle édition, Légende posthume, paru en 2013. La couverture de cette édition 2016 est aussi un clin d’œil au recueil Le sujet est la clairière de son corps : cet alignement d’arbres, cette présence verticale de ce qui nous donne à respirer : les arbres et les arts.

Ce carnet aura la générosité de ses 248 pages et la richesse de « Portraits de poètes » et de textes inédits. Ce premier volume des « portraits de poètes » compte 18 figures en poésie et littérature, de l’Italie de la Renaissance, avec Gaspara Stampa (A. Paoli) aux écrivains du XXème siècle : la poète portugaise Sophia de Mello Breyner Andresen (M. Konorski), la poète et nouvelliste autrichienne Ingeborg Bachmann (M-C. Masset), l’écrivaine, journaliste et traductrice tchèque Milena Jesenská (L. Margantin), le nouvelliste, romancier et essayiste britannique D. H. Lawrence (A. Dufraisse), la poète, essayiste et traductrice italienne Margherita Guidacci (A. Paoli), la poète et écrivaine allemande Hilde Domin (M. Gondicas), le poète, écrivain et peintre américain E. E. Cummings (J. Estager), puis l’écrivain et poète suisse de langue allemande Robert Walser (J. Laurans).

Parmi ces portraits, des parcours d’écriture de femmes vivantes, mais trop vite disparues, comme Hélène Mohone (C. Chambard), Danielle Collobert (B. Machet), Alix Cléo-Roubaud (I. Baladine Howald), ainsi que l’actrice et écrivaine allemande Margarete Steffin (B. Gyr). Un bel hommage rendu aussi au poète suisse, récemment disparu, Virgilio Masciadri (E. M. Berg)… Jusqu’à nos contemporains, avec Jean-Luc Sarré (T. Hordé), Pierre Le Pillouër (P. Dao), Lorand Gaspar (S. Péglion), Erri de Luca (C. Zittoun).

La rubrique des « Traductions » offre une large place à des écritures singulières. Sur plus de 60 pages de textes inédits en bilingue, à découvrir Peter Holvoet-Hanssen né à Anvers en 1960 et la poète hollandaise Gerry Van Linden née en 1952 à Eindhoven (sous la traduction de Daniel Cunin), Lorenzo Calogero, considéré comme l'un des rares purs poètes du XXème siècle italien (sous la traduction de Jean-Charles Vegliante), Jane Hirshfield, poète contemporaine américaine (sous les traductions de Delia Morris & Geneviève Liautard), Rosalind Branckenbury, écrivaine et poète anglo-américaine (sous la traduction de G. Liautard), Virgilio Masciadri (avec des poèmes sélectionnés et traduits de l’allemand par Jacques Tornay). Un tour aussi du côté de l’Équateur avec Pedro Rosa Balda traduit par Rémy Durand.

Avec Claude Chambard questionné par Tristan Hordé : lire et écrire sont indissociables. Plus de sept pages d’un entretien ouvert et passionnant. Avec Maya Deren, j’ai choisi d’esquisser le profil d’une dissidente du 7ème art : place non plus à un art de masse mais à un art savant ! Avec le cinéaste new yorkais Pip Chodorov, interrogé par Richard Skryzak, nous entrons dans les coulisses d’un cinéma expérimental.

 

« Le poème donne naissance à ses lecteurs »

(Charles Racine).

 

Nathalie Riera (janvier 2016) ………………………………………

 

 

Les Carnets d’Eucharis [2016]

0 I [Hommage À Charles Racine]

I [Dossier coordonné par Alain Fabre-Catalan & Nathalie Riera]

Avec le soutien et l’aimable autorisation de Gudrun Racine & des éditions Grèges

00 I Alain Fabre-Catalan [RECONNAISSANCE À CHARLES RACINE – Une vie dans l’étreinte des jours]

00 I Frédéric Marteau [Quelque mie sur la page... Génie de Charles Racine]

00 I André Wyss [Revenir encore à Charles Racine]

00 I Nathalie Riera [Monologue avec Charles Racine]

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 PORTRAITS DE POÈTES (Vol. I, 2016)

I [Dossier coordonné par Nathalie Riera]

00 I Tristan Hordé [Jean-Luc Sarré, la rencontre du présent]

00 I Claude Chambard [Hélène Mohonne]

00 I Marie-Christine Masset [Ingeborg Bachmann]

00 I Patricia Dao [Pierre Le Pillouër]

00 I Sabine Péglion [Lorand Gaspar ou « L’absolue parole »]

00 I Jacques Estager [e. e. cummings, poète américain et non seulement… he is]

00 I Béatrice Machet [Danielle Collobert, une exilée en souffrance… ou pour mieux mourir]

00 I Martine Konorski [Sophia de Mello Breyner Andresen]

00 I Isabelle Baladine Howald [Alix Cléo Roubaud, « je n’ai jamais réussi à voir les arbres »]

00 I Anthony Dufraisse [D.H. Lawrence, une autre sorte de poésie]

00 I Eva-Maria Berg [Virgilio Masciadri]

00 I Angèle Paoli [Les trois visages de Gaspara Stampa & Margherita Guidacci, la dernière sibylle]

00 I Catherine Zittoun [Du poétique chez Erri De Luca]

00 I Brigitte Gyr [Margarete Steffin]

00 I Myrto Gondicas [Hilde Domin]

00 I Jacques Laurans [Robert Walser au crayon]

00 I Laurent Margantin [Une lettre de Milena Jesenská]

 

ENTRETIEN

0 I Tristan Hordé s’entretient avec Claude Chambard

 

AU PAS DU LAVOIR I Poésie & Prose

00 I Luis Mizón [Nuages sur une maison vide]

00 I Claude Minière [IN UN INTERNO]

00 I Jean-Charles Vegliante [Derniers jours (d’ÉtÉ)]

00 I Jacques Estager [IRIS]

00 I Valentine Garennes [JOURS, un chant de femme en 10 mouvements]

00 I Patrick Le Divenah [quelques inédits]

 

PORTFOLIO I Cahier visuel & textuel de 8 pages

PIP CHODOROV I entretien conduit par Richard Skryzak & Nathalie Riera

 

ClairVision I Pet

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22/12/2015 | Lien permanent

Zbigniew Herbert, Corde de lumière (une lecture de Tristan Hordé)

Zbigniew Herbert Corde de lumière

(Œuvres poétiques complètes I)

- traduites du polonais par Brigitte Gautier, édition bilingue -

Editions Le Bruit du Temps, 2011

 

 

LECTURE : Tristan Hordé

 

 

      Les œuvres de Zbigniew Herbert (1924-1998) — une dizaine de livres de poèmes, des essais — restent peu connues en France(1). Le premier volume des œuvres poétiques (qui en comprendra trois) rassemble Corde de lumière (1956), Hermès, le chien et l'étoile (1957) et Étude de l'objet (1961) ; il est précédé d'une "conversation de l'auteur avec lui-même" autour du thème de l'écriture de poèmes. Parallèlement à cet ensemble, paraît un volume d'essais, Le Labyrinthe au bord de la mer (2000 en polonais, donc posthume), consacré aux voyages du poète en Grèce et en Italie et à ses réflexions sur l'Antiquité ; il sera suivi de deux autres.

     On peut commencer l'exploration des poèmes, en vers et en prose, en examinant ce que Zbigniew Herbert rejette. Dans les réponses qu'il propose à ses propres questions, il marque nettement son refus du réalisme socialiste qui ne tient aucun compte de la réalité observable. Il revient sur ce point à plusieurs reprises dans ses poèmes, par prudence sans allusion directe à ce qu'imposait le pouvoir en Pologne mais sans aucune ambiguïté. Un écrivain peut sans doute présenter un monde idéal, décrire les choses quotidiennes en gommant toutes aspérités, et donc ignorer que le réel s'imposera à un moment ou à un autre ; ainsi l'image de la "La chambre meublée" [titre d'un poème] sera, pour ne pas choquer, celle d'un « monde faux » — mais « du papier peint arraché / des meubles non apprivoisés / les taies des glaces sur le mur / voilà l'intérieur réel » (p. 225). De manière analogue, il est inutile de peindre « toute la nuit en rose » les murs gris de la prison : cela n'empêchera pas l'enfermement. Donc, il faut sortir des leçons imposées, quoi qu'il en coûte — et Z. Herbert a payé le pris — et tenter de dire ce qui est en sachant que tous « nous avons des cailloux / noirs à la place des yeux » (p. 75).

     Quoi écrire ? « [...] le domaine des choses, le domaine de la nature me semblait être un point de repère, et également un point de départ, permettant de créer une image du monde en accord avec notre expérience » (p. 17). Donner une "image du monde" en choisissant pour point de départ un tabouret, des chaises ou une table, c'est aller contre toute idéalisation de la réalité et, en même temps, affirmer que « nous sommes réels » (p. 113). Cette attention à ce qui passe inaperçu peut aussi être la base d'une critique d'une certaine poésie ; dans un portrait de la poule (bien différent de celui de Jules Renard dans ses Histoires naturelles), il retient la rupture entre elle et les autres oiseaux, comportement né de la vie avec les hommes, et notamment « cette parodie de chant, ces supplications brisées pour une chose incroyablement ridicule : un œuf souillé, blanc, rond. // La poule rappelle certains poètes. » (p. 343) Décrire ces choses sans relief, qui conduisent à séparer « la chose de l'apparence » (p. 167), ne signifie pas pour Zbigniew Herbert qu'il faudrait seulement s'attacher à un réel "nu" ; bien des poèmes, surtout ceux en prose, débordent ce cadre et construisent un univers de fantaisie, parfois de non-sens : ainsi, le chat « arrache les oiseaux des arbres avant qu'ils soient mûrs » (p. 321), l'ours refuse d'aller à l'école, etc. La poésie est comme le coquillage vide qui « raconte / les mers évaporées dans le sable » (p. 421)

     Pour ce qui est du "domaine de la nature", il apparaît de manière récurrente sous une forme élémentaire : l'eau, la terre, le feu, l'air, puis les fleurs (seule la rose est citée, abondamment), les arbres (« un tronc de bouleau comme une corde de lumière », p. 85), les oiseaux, auxquels le Poète est associé :

     que serait le monde

     s'il n'était plein

     de l'incessant va-et-vient du poète

     parmi les pierres et les oiseaux

     (p. 197)

     Ce monde naturel se caractérise par le fait qu'il donne sans détour ce qu'il est. On pourrait reconnaître une forme de panthéisme dans la poésie de Zbigniew Herbert qui, l'une des rares fois où il s'adresse à un lecteur, écrit : « sans attendre de meilleure récompense / assieds-toi sous l'arbre » (p. 85). Et c'est à partir des éléments naturels que le poète peut décrire le monde des choses : « il me faut regarder les toits comme la pleine mer » (p. 219), écrit-il.

     L'univers de Zbigniew Herbet est plus complexe ; y est intégré une relation active à la tradition, qu'il s'agisse de l'Antiquité — des poèmes ont pour thème Athéna, Marc-Aurèle, Néfertiti, Jonas, etc. — ou plus largement du passé. Les références ne doivent rien à une quelconque nostalgie, l'Antiquité est toujours une source vivante et, à l'occasion, se révèle un instrument critique ; si Arion, ce cheval doué de la parole, chante l'harmonie, le paradis perdu (« tout est aussi bon / qu'au commencement », p. 147), ce n'est cependant qu'un chant..., et il s'éloigne sur la mer, « seul » (p. 149). Et de la statue d'Apollon appréciée dans la jeunesse, « il ne reste qu'un socle vide » (p. 49). Quant au passé, il est doublement important : opposé aux "lendemains qui chantent" du pouvoir, c'est aussi un appui pour comprendre ce qui est vécu aujourd'hui — « la poésie est fille de mémoire / elle veille les corps dans le désert » (p. 273).

     On lira, insistante dès le premier livre, une volonté d'être lisible, d'écrire sans détour — « je donnerai toutes les métaphores / pour une expression / comme une côte écalée de ma poitrine / pour un mot / qui rentre / dans les limites de ma peau » (p. 169). Une poésie donc qui s'en tient à un vocabulaire commun, à une syntaxe sans recherche, qui privilégie l'énumération plutôt que l'image : l'essentiel, toujours, est de parvenir à « décrire la simple émotion » (p. 169), de la susciter chez le lecteur non pour rejeter la réflexion mais pour qu'elle ne soit pas première. Dans un poème de circonstance, "Aux Hongrois", écrit au moment de l'insurrection en 1956 contre le pouvoir communiste, les quatre brefs quatrains ne visent pas à décrire ce qui se passait, plutôt à exprimer « d'une manière aussi pure et transparente que possible » (p. 16) la solidarité avec ceux qui luttaient pour des valeurs. Cela est peu ? C'est que les mots du poète n'ont pas le pouvoir de changer quoi que ce soit, ni d'expliquer le monde. Dans une parabole, le "Poète" relate que « deux ou trois / fois / [il a] été sûr / de toucher au fond des choses / de savoir » (p. 475) ; sa recherche a été interrompue par une intervention extérieure mais, quand il l'a reprise, il a atteint son but et a pu enfin contempler « le cœur des choses // une étoile morte // une goutte noire d'infini » (p. 477).

     Alors ? Il y a sans doute dans l'affirmation de l'absence de pouvoir de la poésie un refus de l'aveuglement de ceux qui écrivaient pour vanter « le royaume de l'avenir », pour faire croire que le « paradis sera prêt / à la fin de la lutte des classes » (p. 277). C'est en même temps dire que les poèmes, comme le reste des créations humaines, disparaîtront dans l'oubli. Dans la série des éléments de la nature, le dernier cité par Zbigniew Herbert est l'herbe : « l'herbe qui survient lorsque l'histoire s'accomplit / et qui est un chapitre du silence » (p. 117). On relèvera ici la rencontre avec un poète fort différent, Jude Stéfan, qui évoque dans les Suites slaves « l'oubli des herbes » (André Dimanche, 1983, p. 81).

(Les carnets d’eucharis, Tristan Hordé, janvier 2012)

Les carnets d'eucharis

 

 

 

 

 

www.lebruitdutemps.fr/

 

 

 

      



1  Trois recueils, tous épuisés, ont été traduits : Monsieur Cogito et autres poèmes (Fayard, 1990), Redresse-toi et va (Orphée/La Différence, 1995) et Élégie pour le départ suivi de Rovigo (Le Passeur, 2000). Deux essais sont disponibles, Un barbare dans le jardin (Le Rocher, 2000) et Nature morte avec bride et mors (Calmann-Lévy, 2003).

 

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16/01/2012 | Lien permanent

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