Pascal Boulanger (Fureur et Silence) (20/12/2008)

 

DOSSIER POЄSIE

des Carnets d'Eucharis

 

N°1

 

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(… les mots possèdent ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux, resterait épars dans le temps des horloges et l’espace mesurable…)

Claude Simon, Discours de Stockholm, Fondation Nobel/Les Editions de Minuit, 1986

 

 

Fureur et Silence

Par Nathalie Riera

 

 

Si Claude Simon accordait un extrême souci au « phénomène du présent de l’écriture » (dans son Discours de Stockholm, 1986), n’est-ce pas aussi en ce lieu même de l’instant que s’opère la fabuleuse dynamique des sensations, des émotions, et où des figures inconnues se raniment en autant de paysages intérieurs auxquels certains écrivains et poètes se rattachent, mais non comme des repaires contre le monde mais plutôt comme ce que Philippe Jaccottet définit au mieux en cette phrase : « revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour ».

Mais des retours à quels paysages inépuisables ?

Tout d’abord, de tels retours seraient-ils seulement entendus comme des manières de se protéger du monde tout en ayant également souci de protéger ce monde, quand le travail ou le fait d’écrire (je le préfère au mot « tâche ») ne saurait se limiter ni à un détournement du réel ni au seul recours à l’imagination (au sens où l’imagination réduit l’engagement de l’être, ou ne fait que plaider des causes perdues, nous dit Gaston Bachelard).

Revenir alors à des paysages inépuisables, qui ne cessent de se modifier, de n’appartenir à aucun autre temps que celui où l’écriture le convoque, temps enfoui, et comme une manière aussi de ne jamais se démettre du chemin, mais plutôt ne jamais cesser de s’en remettre comme preuve de notre engagement d’être vivant.

« Le monde ne peut devenir absolument étranger qu’aux morts (et ce n’est même pas une certitude) » nous dit Jaccottet, lorsque pour Pascal Boulanger : « Vivante, en effet, est la pensée du cœur et plus tranchante qu’aucun glaive » (Jamais ne dors, p.66). A cette notion de vivant je ne peux m’empêcher d’associer cette phrase de Pascal Boulanger à celle du jeune Siward s’adressant à MacBeth : « (…) De mon épée je ferai la preuve du mensonge que tu profères » (Shakespeare).

 

Si selon O. Milosz le songe a lui aussi sa réalité, le réel c’est aussi ne jamais cesser de naître, et surtout de prendre les preuves de son être dans la volonté que nous mettons à fuir toutes formes de terreurs et de chantages fréquents, ainsi que toutes formes de mensonges et d’aveuglements qui nous empêchent de voir nos ennemis.

« La pensée du cœur » chez Pascal Boulanger n’exclut cependant pas la douce chaleur, elle en est même conservée : force et fragilité des contrastes, comme les fureurs et les silences, à participer pleinement de notre être, tout à la fois en protestation et en assentiment de dire le monde et de le taire. « Au temps tragique, tu ne donnes pas prise à la tragédie », et plus loin « Tu es triste et toujours dans la joie » (p.63). Dans la poétique de Boulanger, il convient de prendre la réalité en charge, car celle-ci n’est pas considérée comme un fardeau mais comme une immanence en extension. Le réel est aussi source d’agréments et d’enthousiasmes. D’ailleurs, les mots chez Pascal Boulanger sont des « carrefours de sens » : lorsqu’on lit, par exemple, son dernier recueil « Jamais ne dors », on ne sent pas chez ce poète un quelconque souci de cohérence univoque, et encore moins de transcendance, sa seule pertinence étant que le texte reflète une certaine symétrie et une certaine liberté aussi : « non plus exprimer mais découvrir » disait Claude Simon.

En lisant et relisant Pascal Boulanger, notamment ses recueils de poésie, je suis tentée de rapprocher sa poétique à celle de Pierre-Jean Jouve, lorsque ce dernier écrit : « Le miracle de l’amour est de n’aimer rien… D’être la flamme de n’exister en rien » (dans « Matière Céleste », Œuvre I). A la manière d’un Jouve, les mots de Pascal Boulanger ne s’écrivent pas avec une encre présomptueuse. Fermerait-il ses yeux pour s’ouvrir au monde, ce serait du moins pour faire le vœu que soit réduit l’avilissement des cœurs. Pour ce poète, aimer et penser le monde sont identiques.

 

Ce dossier est consacré à l’œuvre de Pascal Boulanger que je vous invite à découvrir à travers des extraits de ses recueils, essais & anthologies (depuis Septembre, déjà, 1991 à Jamais ne dors, 2008), puis également des extraits d’articles de presse, notes de lecture et critiques réservés à chacune de ses œuvres, tous ces éléments réunis par exigence et plaisir à donner un aperçu général du travail d’un poète sensible aux états et aux enjeux de la poésie contemporaine… dans une distance qui s’impose pour remettre en cause l’idée même de la poésie.

5 décembre 2008

©DOSSIER POЄSIE n°1, Les Carnets d'Eucharis

 

 

 

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