Ryôichi Wagô, Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima (lecture de Nathalie Riera) (31/03/2016)

 

 

 

Ryôichi Wagô

Jets de poèmes

dans le vif de Fukushima

 

po&psy a parte érès, 2016

Traduit du japonais par Corinne Atlan

Encres sur papier de soie: Elisabeth Gérony-Forestier

 

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Ryôichi Wagô

 

 

Retour temporaire à leur domicile de personnes évacuées de Minamisôma et Tomioka, préfecture de Fukushima. Première autorisation de retour accordée par les collectivités régionales de la zone côtière.

15217 morts, 8666 disparus.

(25 mai 2011)

 

Le 11 mars 2011, le poète japonais Ryôichi Wagô décide de rester dans son appartement à dessein de témoigner et de donner à l’espoir une forme palpable, tout en répétant inlassablement « Il n’est pas de nuit sans aube ». Se métamorphoser en asura, écrire comme un asura, ce démon perturbateur de la mythologie hindoue et bouddhique, c’est alors et aussi pour le poète une manière de « ne pas renoncer à Fukushima, vivre avec Fukushima, vivre Fukushima ». La rage est noire. Et la rage au cœur, Ryôichi décide de tweeter ses pensées, « avec radiations et répliques pour compagnons de route ». Lancer son jet de poèmes, quand dehors, c’est la nuit sans autre perspective que la nuit, avec 100396 maisons entièrement ou partiellement détruites par le séisme, des coupures d’électricité, des largages d’eau par voie aérienne sur les réacteurs, des vrombissements d’hélicoptères, leurs tournoiements incessants dans le ciel, et le nombre de morts qui augmente d’heure en heure. Gymnase et terrain de base-ball se transforment en morgue et en crématorium. Désormais, le nom de Fukushima sonne comme « Ile-du-Malheur ».

 

Mon pays natal est un crépuscule.

5 avril 2011 – 22 : 25

 

Dans la cuisine de l’appartement la vaisselle est en miettes, et dans la salle de bains l’eau de la baignoire est rouge. Le poète se sent désormais revêtu d’un autre moi, « un moi pesant, désespéré, triste, inconsolable ». La catastrophe s’empare de tout, jusqu’à l’intérieur de vous : « La catastrophe est en toi ». Survivre à Fukushima c’est vivre avec les répliques de plus en plus nombreuses, et « l’impression de trembler en permanence », et la solitude de s’approfondir, et la rage à vous tordre le ventre, et votre corps qui n’est plus que larmes. Il faut pourtant pouvoir apaiser la colère, trouver à guérir, malgré la mort et l’anéantissement, « continuer à vivre, même à petit feu ».

Ce qui ne bouge pas, ce sont les souvenirs. Il y a la grand-mère et ses boulettes de riz au miso, l’enfance aux couleurs d’arc-en-ciel, et au bout du tunnel de la catastrophe – la pire depuis le séisme du Kantô de 1923 et le grand tremblement de terre de Kôbe en 1995 –, la prière de voir s’approcher « en catimini le printemps et ses bourgeons », même si demain ce sera vivre le prolongement d’aujourd’hui, endurer le prolongement d’aujourd’hui, écrit le poète.

 

Notre monde a produit le lait du chagrin.

27 mars 2011 – 22 : 22

 

 

Les poèmes-tweet de Ryôichi sont des mantras dispersés chaque jour et chaque nuit sur la toile numérique. Deux mois et dix jours d’un travail d’écriture commencé le 16 mars 2011, avec le soutien de centaine d’abonnés.

Ryôichi Wagô vit toujours à Fukushima. Son recueil « Jets de poèmes/shi no tsubute » a fait l’objet d’une publication au Japon, suivi de : « Hommage silencieux/shi no mokurei » (à la mémoire des disparus) et « Retrouvailles/shi no kaikô » (adressé aux survivants).

 

© Nathalie Riera, 31 mars 2016.

Les Carnets d’Eucharis

 

 

 

EXTRAITS

 

Dis, grand-père, quel goût avaient les steppes de Sibérie pendant la guerre ? Tu sais, grand-père, ici aussi, l’après-guerre a commencé. Sibérie, métaphore de l’hiver. Terre lointaine, quel vent te balaye aujourd’hui ? Je vois un arbre gelé sur une colline.

20 mars 2011 – 22 : 38

 

------------------------------------------------------ (p.77)

 

 

Alerte sismique. Epicentre au large de Miyagi. Alerte sismique. Epicentre au large d’Ibaraki. Alerte sismique. Epicentre au large d’Iwate. Alerte sismique. Epicentre sur la troisième étagère du réfrigérateur. Alerte sismique. Epicentre sur ma chaussure droite. Alerte sismique. Epicentre sur la cagette d’oignons. Alerte sismique. Epicentre sur mon dictionnaire. Alerte sismique. Epicentre au cœur du printemps.

20 mars 2011 – 22 : 52

 

------------------------------------------------------ (p.79)

 

 

Que signifie « maitriser » ? Réplique.

22 mars 2011 – 22 : 08

 

Est-ce que vous savez la « maitriser », l’énergie nucléaire ? Réplique.

22 mars 2011 – 22 : 13

 

L’humanité a-t-elle déjà vu le vrai visage de l’énergie nucléaire ? Réplique.

22 mars 2011 – 22 : 16

 

------------------------------------------------------ (p.103)

 

 

J’appelle la « maîtrise » de mes vœux. Il me reste encore un semblant de famille et de ville natale. C’est une bénédiction… en comparaison de ceux qui ont tout perdu… Que faire sinon pleurer ? Nous sommes pareils à des voyageurs dans une lande sauvage battue par les vents, sur le point de perdre leurs précieuses sandales de paille. Réplique.

22 mars 2011 – 22 : 32

 

------------------------------------------------------ (p.104)

 

 

Les montres du nord-est du Japon retardent toutes d’une minute. Les numériques, les analogiques, les magnétiques, les sabliers, les clepsydres, les cadrans solaires, les horloges à vent, les horloges biologiques. Est-ce qu’elles sont toutes restées bloquées sur 2h47 de l’après-midi le 11 mars ?

1er avril 2011 – 22 : 25

 

------------------------------------------------------ (p.195)

 

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L’ouvrage sera disponible en librairie à partir de la mi-avril.

 Le site de l'éditeur

 

Association PO&PSY

95A rue du Castelas, 30260 LIOUC

06 72 67 41 98

poetpsy@orange.fr

http://www.poetpsy.wordpress.com

 

Les personnes intéressées peuvent s'adresser aussi directement à l'éditeur :

Contact

ICI

 

 

 

 

 

 

 

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