Jean-Richard Bloch & Jean Paulhan, par Tristan Hordé (20/02/2015)

 

 UNE LECTURE DE TRISTAN HORDÉ

 

© Jean-Richard Bloch & Jean Paulhanhttp://www.librarything.com/author/aikenconrad

 

Jean-Richard Bloch & Jean Paulhan, Correspondance 1920-1946

édition établie, préfacée et annotée par
Bernard Leuilliot

Éditions Claire Paulhan, 2014

Site éditeur | © http://www.clairepaulhan.com/auteurs/bloch_paulhan.html

 

 

 

  La publication de la correspondance de Paulhan se poursuit, aux éditions Claire Paulhan, parallèlement à celle des œuvres complètes chez Gallimard (après celle du Cercle du Livre Précieux, il y aura bientôt 50 ans), dont on espère qu’elles trouveront un jour leur place dans la Pléiade. Ce volume permet de mettre en lumière la personne de Jean-Richard Bloch, né en 1884 comme Paulhan : romancier, essayiste, il a fait partie du comité de rédaction de la revue Europe à sa création, en 1923,  et il y a tenu dans les années 1930 une chronique régulière ; il a dirigé ensuite avec Aragon le quotidien Ce soir, jusqu’à  l’interdiction de la presse communiste en octobre 1939. On suivra précisément son parcours, en particulier pendant la guerre, jusqu’à sa mort brutale, d’épuisement, en 1947, dans la présentation de Bernard Leuilliot.

  Les deux hommes commencent leurs échanges épistolaires en 1920, un peu par hasard : Bloch avait envoyé des haïkaïs à Jacques Rivière, directeur de La Nouvelle Revue française, et c’est Paulhan qui lui répond, lui signalant que, par ailleurs, il connaît ses livres. Toujours ouvert et attentif, Paulhan passe de « Je vous serre les mains » (mars 1921) à « votre ami » (février 1922), puis à « affectueusement à vous » (1926). La sympathie mutuelle de ces deux écrivains et hommes de revues n’empêche pas Paulhan de n’être jamais complaisant quand il devient lecteur ; à propos de La Nuit kurde et de Sur un cargo, il écrit en 1925 : ces deux livres « décidément, me déçoivent (...). Je vous en veux de votre laisser aller et d’appuyer même dans le sens de votre laisser-aller » ; en 1931 il remercie Bloch de l’envoi d’un poème, tout en le jugeant « chargé d’une poésie aussi froide, aussi plaquée, aussi contrainte que le préface à La Nuit kurde. » Une dernière fois, le 1er janvier 1940, il répond à l’envoi d’une nouvelle : « votre récit me paraît manqué ». Cependant, il manifeste son admiration pour d’autres textes, suscite régulièrement la collaboration de Bloch à  La NRF et lui envoie fin 1931 et début 1932 de longues lettres autour du "pouvoir des mots", question qu’il développe dans Les Fleurs de Tarbes publiés en 1936.

   Bloch vit de sa plume et est souvent préoccupé par l’accueil fait à son œuvre ; mais quand il s’étonne que La NRF ne rende pas compte de tel de tel de ses livres, Paulhan lui répond : « nous ne parlons pas dans la nrf de tous les livres que nous aimons ». À la parution de Sybilla dans La NRF en 1932, il demande à Paulhan de lui rapporter les réactions des lecteurs — ce qu’il obtient. Mais s’il ne néglige pas l’approbation du public, ce qui lui importe est son combat d’idées. Un roman doit selon lui porter l’engagement de son auteur et, opposant Sybilla à d’autres romans, il définit exactement en juin 1932 ce qu’il a prétendu faire : « Ceci est le roman de mœurs, le roman des conditions sociales, de l’individu dans la Société, des milieux, des aspirations, des familles, des maisons, des morales, le roman de Dieu et de la foi dans l’homme, le roman de l’impérialisme passionnel, de l’impérialisme spirituel. »

    Les liens se distendent, et les lettres s’espacent, à partir du moment où Bloch se rapproche des communistes. Quand il co-dirige Ce soir, il reproche à Paulhan le silence de La NRF à son égard, ce qui lui vaut une réponse qui équivaut à une rupture : Ce soir est présenté comme « ce célèbre journal du soir où l’on trouve plus de sexe-appel, d’histoires de basse police et de bobards (...) que dans tous les autres journaux réunis ». Ils renouent un an plus tard et, surtout, à partir de 1940 ; la situation de Bloch est alors plus que difficile et il s’interroge, « De quoi vivre demain ? » et « (...) si, Juif, je ne vais pas devenir momentanément (un moment qui peut durer plus longtemps que la fin de ma vie) un citoyen de seconde zone ou même pas du tout un citoyen. »

   Chacun à sa manière est résistant. Paulhan fait notamment partie d’un réseau et participera à la création des Lettres françaises clandestines. Bloch est obligé de partir à Moscou en 1941 et, jusqu’en 1944, il y parle à la radio ; son retour en France ne peut être que difficile : à la suite d’un bombardement, la totalité de ses travaux, le journal de toute une vie ont été détruits, « tout a brûlé, en juin 41, consumé jusqu’au dernier fragment ». Mais beaucoup plus lourd pour lui, il s’épuise en recherches pour « retrouver la trace de [ses] disparues » — traces de l’horreur : sa fille France, résistante, a été décapitée à Hambourg, sa mère gazée à Auschwitz et son gendre fusillé.

   C’est le chemin de l’intellectuel, d’abord éloigné de la politique, puis engagé, qu’a été Jean-Richard Bloch qui est restitué dans cette correspondance ; Paulhan, sans ambiguïté, exprime son estime pour l’écrivain et pour l’homme, mais n’hésite pas à dire ses désaccords. On suit d’autant mieux leur relation que les notes qui accompagnent chaque lettre, abondantes et précises, restituent le contexte politique et culturel, complexe, de la période de 1920 à 1945.

 

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