Olivier Salazar Ferrer - Les possessions transparentes, éd. de Corlevour, 2014 (05/11/2014)

 

 

UNE NOTE DE NATHALIE RIERA

 

 

Les possessions transparentes
Olivier Salazar Ferrer

 

Corlevour, 2014

 

  

 

Olivier Salazar Ferrer | © France-Culture

 

 

 

 

 

 

en route vers une destination inconnue, sans aucune raison valable : telle semble être la volonté du professeur de philosophie dans le roman au titre énigmatique « Les possessions transparentes » d’Olivier Salazar-Ferrer. Que peut-il en être de la recherche du voyageur et de celle du poète, l’une et l’autre sont-elles de même souche, en tant que le voyageur comme le poète sont sensibles à notre diversité en réduction : combien les cultures sont fragiles face aux standardisations de la représentation de soi. (p.22) Que revient-il au voyageur, sinon dans le choix d’une ascèse d’entreprendre l’expérience de la « désappropriation » : bouleverser le régime de la propriété avec ses clôtures phénoménologiques et sociales (p.12) — d’être dans une « liberté de déliement » : Il s’agissait de délier, de rejeter les cordages sur le quai, de se départir (…) (p.13) — de se faire « Voyageur du Divers » dont l’action (en opposition à la théorie) est de « faire s’exalter sa propre existence par la différence et le divers ». Un roman de cette envergure ne peut se dérouler sans quelques évocations ou références à des écrivains, des philosophes et des poètes majeurs (David Thoreau, Victor Segalen, Bashô, Rainer-Maria Rilke, Blaise Cendrars, Gustave Roud, Léon Chestov…). Opposer le voyage à toute action d’appropriation, est-ce alors pour mieux croire « à la puissance magique de l’inaccompli » : n’avoir rien à réaliser, mettre en pratique la théorie de l’inaccompli comme réserve d’énergie, comme défaut ou appel d’être dans la substance même du monde (p.43). Pour le voyageur, réappropriation également de « l’innocence du verbe », ou encore de la jeunesse de la langue, en référence à Holderlïn.

 

Nathalie Riera, novembre 2014

© Les Carnets d’Eucharis

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       « Le voyage était devenu objet de science, dépiauté, analysé, classifié, dévoré par les vampires analytiques (…) notre siècle n’était-il pas dévoré par la passion de l’appropriation, par sa décomposition de l’objet en relations exprimables, de façon à le reproduire, quitte à briser la puissance fougueuse qui l’animait ? Je percevais parfois la culture moderne comme une immense pieuvre collée au réel, habile à se saisir de la moindre proie vivante pour en sucer la vie. Le récit de voyage, cette ombre du réel que Segalen avait voulu subvertir dans son poème Equipée, n’était plus qu’une coquille vide sur le sable de notre culture.

Il y avait pourtant une façon de faire vivre une œuvre, de la charger de ses possibilités de sens, de l’illuminer de l’intérieur pour la faire advenir à sa fonction authentique qui est de créer de la vie. (…) Sans aucun doute, cette vieille Europe poudrée, héritière des monarchies, empêtrée dans ses richesses et dans une histoire millénaire qui lui collait aux fesses, devait se tourner vers les cultures des autres continents…»

 

............................... (p.34/35)

 

 

       « On avait rallumé les bougies. « Aimez-vous le Stabat Mater de Pergolèse ? » avais-je demandé au sommelier, tandis que les voix s’élevaient dans leur architecture transparente. Terrifié, sans répondre, la main tremblante, il avait servi le vin, un Vosne Romanée premier cru 1985. Je l’avais fais danser entre mes doigts. Robe rubis, carminée avec l’âge, vague secrète de sous-bois nocturnes avec des parfums mouillés de mousse, O quam tristis. Reflets de fruits rouges et noirs, imprégnés de la senteur de la violette. A la seconde approche : Vidit suum dulceum natum, timidité et audace mêlées, robe de feu, presque grenat, tirant sur le pourpre sombre. Corps ardents sur la neige. Inflammatus et accensus. Fruit mûr sur fond épicé, échos de cuir et de fourrures. Envol lourd d’oiseaux sauvages qui frôlent de leurs ailes les étangs embrumés. Aubes d’automne où résonne le pas méthodique des chevaux sur les feuilles mortes. Chœurs soutenant les voix singulières. Reprise paisible puis consentement à l’extinction. »

 

............................... (p.118)

 

 

 

 

Quatrième de couverture

Le narrateur est un professeur de philosophie qui se rend à un colloque consacré aux écrivains voyageurs. Il traverse en train un paysage de montagnes enneigées. Il est mythomane et s'invente des identités lors de ses conversations avec les passagers. Tandis qu'il accumule les notes pour sa conférence, les intempéries retardent son arrivée. Bloqué dans une ville de montagne, il est confronté aux pensionnaires de l'Hôtel des Glycines : les étudiants représentés par le jeune Frédéric Berlioz et l'anglais Graham Barker, enthousiaste et fantasque, le Docteur Arenberg, philosophe juif américain, le professeur Alexander, rationaliste ironique, la japonaise Mlle Kyoubou qui se singularise par un comportement sadomasochiste, le poète violoncelliste aveugle Umberto Baldi et sa charmante fille Clara dont la présence va bouleverser la paix apparente de l'hôtel, la serveuse du Café du Théâtre, prénommée Madame de Warrens à cause de sa ressemblance avec la protectrice de Rousseau. Le narrateur prend l'habitude d'errer la nuit dans la ville, découvrant le théâtre, le domaine des Charmettes envahi par la neige,

où flotte l'ombre de Rousseau... Le lecteur découvre peu à peu que les personnages sont en lutte, à des degrés divers, pour une quête du réel. Le narrateur est déchiré par un conflit entre possessions matérielles et aspirations spirituelles qui affrontent tous les jeux de l'illusion. Seul le poète aveugle Umberto Baldi invite les autres personnages à voir ce que l'on ne voit pas, mais il sera rapidement expulsé de l'Hôtel par les autres invités. Le voyage représente donc une série de dépossessions, mais aussi une reprise de la vérité à travers une série d'expériences spirituelles. Le narrateur, tombé amoureux de Clara au cours d'une promenade avec elle et son père, prendra la fuite la veille de sa conférence, hanté par la nature indicible de ce qu'il veut dire, pour se réfugier dans un hôtel désert, dans une petite ville de montagne encore plus isolée en altitude. Est-il sur les traces du vieux poète italien et de sa fille Clara ? C'est dans cet hôtel fantôme qu'il fait l'expérience d'un repas mystique qui va clore le récit, avec la vision d'une petite fille qui joue avec l'invisible.

 

 

 

Olivier Salazar-Ferrerest maître de conférences depuis 2007 en littérature française à l’Université de Glasgow en Ecosse. De formation à la fois philosophique et littéraire, ses publications portent sur les littératures du XIXe et XXe siècle, notamment sur la littérature d’avant-garde, avec plusieurs essais sur Benjamin Fondane (Benjamin Fondane, Oxus, 2004 et Benjamin Fondane et la révolte existentielle, De Corlevour, 2007), la littérature féminine, la littérature existentielle (Bespaloff, Chestov, Grenier, Jankélévitch) la phénoménologie (Pour une phénoménologie de la vie - Entretiens avec Michel Henry, De Corlevour, 2010), la littérature de voyage (Blaise Cendrars, J.M.G. Le Clézio, Nicolas Bouvier, Jacques Lacarrière), les croisements entre arts visuels, poésie, littérature et philosophie. Il est également l’auteur de poésie (Adieu à Terre rouge, In limine, 2001 ; Poèmes du silence et de la neige, In Limine, 2003 ; La Roulotte peinte, In Limine, 2006 ; La Haute Provence de l’esprit, In Limine, 2013), de récits (Un chant dans la nuit, De Corlevour, 2007) et d’adaptations théâtrales (Benjamin Fondane, L’Exode, Festival d’Avignon, 2008). Il a été nommé ambassadeur de la culture en 2012 par le City Council de la ville de Glasgow.

 

 

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SITES À CONSULTER

 

 

LES POSSESSIONS TRANSPARENTES

Editions de CORLEVOUR

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FURET DU NORD

Entretien d’Olivier Salazar-Ferrer avec Sylvie Aragnac (extraits)

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