Christophe Grossi - Ricordi - L'Atelier Contemporain, 2014 (01/10/2014)
Christophe Grossi
Ricordi
Dessins de Daniel Schlier
Prière d’insérer d’Arno Bertina
(L’ATELIER CONTEMPORAIN,2014)
L’ATELIER CONTEMPORAIN
François-Marie Deyrolle
SITE - http://www.r-diffusion.org/index.php?ouvrage=LAC-14
© Christophe Grossi
Une note de Nathalie Riera
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■■■ Recueil de 480 « Mi ricordo », et cette question qui traverse ou sous-tend tout le livre : à qui appartient la mémoire ? Il n'est alors pas plus belle tentative que cette réponse sans prétention aucune : « je me demande si l’essentiel ne se passe pas plutôt dans notre corderie, là où nous tirons, tendons, nouons, relions fils et ficelles, où l’intime embrasse l’espace et le temps, où se mélangent héritage, filiation et transmission ; dans ce lieu du vertige qui a sa langue, son tracé et sa construction propres, où nous luttons contre la fascination et la peur du vide et où nous laissons derrière nous des pointillés de vie. » Il n’y a pas que ce que nous avons vécu qui peut faire œuvre de souvenir, ce qui peut devenir notre souvenir est aussi ce qui appartient à quelqu’un d’autre que soi, sans appartenance à notre part biographique ou à notre part d’expérience. Se souvenir, c’est-à-dire « Je se souvient », implique que nous devons toujours nous méfier des témoignages : « Nous nous souvenons, nous croyons nous souvenir, nous embellissons ou grisons la réalité, nous l’arrangeons sciemment ou non, en fonction de l’interlocuteur. » Ainsi que des jaillissements, il convient d’entendre « Mi ricordi » comme « Je se souvient d’autres histoires que la nôtre et de vies arrachées au vide. » Dans la genèse de ces « Ricordi » l’auteur raconte : « N’ayant pas vécu les années quarante, cinquante et soixante en Italie, n’ayant pas fait le chemin de mes aïeux, je ne me souviens pas de cette époque et ne peux prétendre me souvenir de ce que je n’ai pas vécu bien que je me souvienne de ce que j’ai lu, entendu, vu, écrit, retenu, de toutes ces années ».
Nathalie Riera, octobre 2014
© Les Carnets d’Eucharis
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215. Mi ricordo
qu’aujourd’hui, parce que j’étais absent, il ne me reste plus que cette pratique de faussaire : l’écriture.
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322. Mi ricordo
que le narrateur de sa propre histoire est souvent un faussaire qui s’ignore.
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375. Mi ricordo
ne veut pas dire « Je me souviens » mais « je suis un corps projeté dans une histoire de langue perdue » ou « éteins la lumière et raconte ».
:- :- :- :- :
469. Mi ricordo
que j’ai commencé à écrire « Mi ricordo » non pas pour me souvenir mais parce que j’ai déjà tout oublié.
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480. Mi ricordo
que ces « ricordi » étaient dispersés, flous, retenus, perdus, avant de s’imposer en héritage.
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Ricordi – Christophe Grossi
Ricordi, nouveau livre de Christophe Grossi, vient de paraître le 7 octobre 2014 aux Editions « L’Atelier contemporain », accompagné de dessins originaux du peintre Daniel Schellier, professeur de peinture à la Haute Ecole des Arts du Rhin (Strasbourg) qui utilise notamment la technique de la peinture sur verre inversé, et d’ « une prière d’insérer » de l’écrivain Arno Bertina. D’origine italienne, Christophe a raconté la genèse des Ricordi :"Son arrière-grand-père paternel et son grand-père maternel ont en commun d’avoir très tôt quitté leur Lombardie natale, d’avoir épousé une Française dans l’Est de la France, … d’avoir coupé les ponts avec l’Italie, avec leur famille, avec leur langue maternelle et de n’avoir rien transmis de leurs origines à leurs enfants, à leurs petits-enfants sinon un nom qu’il porte… ». Il a beaucoup souffert de ce manque : l’Italie n’était « n’était qu’un trou, une présente absence… », une partie des histoires familiales a été abandonnée à la frontière. Dans ce contexte, ayant grandi imprégné de fictions, de faux souvenirs, de fantasmes sur l’Italie, l’auteur a choisi d’écrire un texte, tout d’abord sous forme de roman, sur l’invention de son passé familial. « Puisqu’on ne m’a rien dit, je ne demanderai rien et je vais construire l’histoire de mes ancêtres qui rejoint l’Histoire italienne, dans les années 40, 50 et 60 ( 2ième guerre mondiale, essor industriel, radio, TV, littérature, journalisme, cinéma, concours de beauté, compétitions sportives… ) ». Ses souvenirs sont des « ricordi », c’est-à-dire des souvenirs qui appartiennent aux autres et s’impriment en soi.
Au bout de dix ans, comme l’articulation de la version « roman » ne lui correspondait plus, il l’a désossée, il a retravaillé certaines phrases, en a supprimé beaucoup, les a remplacées par d’autres et à partir de ce nouveau corpus, il est parvenu à la version finale de 480 fragments de une à quatre lignes : les « ricordi » ont jailli dans le désordre. Au premier abord, la forme poétique très moderne surprend mais très vite, même sans être d’origine italienne, l’on se laisse aspirer par la lecture subjective de ce récit fragmenté qui nous cultive mais aussi déclenche dans notre mémoire des souvenirs proches de ceux de Christophe. Ainsi, lisant « les bombardements de Turin », j’ai instantanément revécu celui de Besançon…
Le style du livre est vif, l’écriture précise, vivante et parfois humoristique. Christophe a réussi un beau livre intéressant, émouvant, poétique, agréable à lire et tonique qui devrait lui apporter paix, liberté et succès.
Yvette Bierry - 19 octobre 2014
Extraits :
1. Mi ricordo que quelqu’un a parlé dans l’obscurité,
quelqu’un a parlé, dans le noir quelqu’un vient
de dire Oublie.
2. Mi ricordo des premiers bombardements, du bruit que ça
faisait dans Turin, la nuit surtout.
257. Mi ricordo ne veut pas dire je me souviens mais je voudrais
Ne plus oublier ou j’imagine des souvenirs ou tais-toi : écris
plutôt.
263. Mi ricordo qu’on imagine tant d’histoires et qu’on
s’empare de tant de possibles que la vérité
souvent est décevante.
303. Mi ricordo que les souvenirs se déforment, déforment,
se reforment et que les mots s’adaptent,
adaptent, rangent, arrangent, dérangent.
Écrit par : Yvette Bierry | 20/10/2014