Jacques Audiberti (13/09/2012)

Hommage à Jacques Audiberti

(1899-1965)

 

 

 

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© Photo : Source Internet

(JACQUES AUDIBERTI)

http://www.audiberti.com/

 

 

 

 

 

 

«Des tonnes de semence»

Extraits Poésie/Gallimard, 1999

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FINIT L’ANGOISSE…

LOZÈRE


La raison hercynique où le temps nous commence

décapita les monts poussés d’avril d’avant.

Sans cesser d’émerger tout s’aplatit. Le vent

attentif redouta l’immense de l’immense.

 

Je le vis qui balance aux perrons de son nid

devant le piège nu des longueurs décloîtrées

et qui palpe d’abord, formules des contrées,

les tourelles de brume aux nappes de granit.

 

Il s’élança, plus tard, pour qu’il fauche et qu’il sème,

hors des faces du nul dont il tendait le cri.
le rocher, ciel second du ciel qui ne sourit,

frissonna comme un torse au tranchant du système.

 

Et le vent, et le roc, et le ciel, et ces noirs

sapins qui vont filant, comme leurs brus les plantes,

l’inerte éternité des époques volantes,

entamèrent la ronde à l’angle des renards.

 

Chaque jour possédait le jour qui l’achemine

mais succombait en masse au même qui le suit.

Solaire fenaison, n’importe quelle nuit

ne s’écartait de toute, où la bête rumine.

 

L’âge croyait dormir, ressort des absolus,

groupé dans l’épaisseur des mornes carapaces,

pèlerin, cependant, vers ses propres espaces

et vers l’horrible honneur des bonds où je me plus. 

 

La vipère pondait sous les bombes de lave.

La gluante belette épouvantait gratis.

La moelle truquait l’os en faveur du métis.

L’oiseau gelé tintait comme un anneau d’esclave.

 

L’épi croissait dès lors que, souffle ! tu te fuis,

et que l’onde ruisselle et qu’enfin se décore

de velours caressant où ne bougent encore

que les loups membraneux la courbure des puys.

 

L’exécrable grêlon d’un corridor aveugle

émane, et se répand, mot de l’orgueil qui vient.

La mousse pénétrée et le schiste bovin

forment le dieu cornu qui se lève et qui beugle.

 

Il épouse la nymphe où rouit le brochet.
Elle lui sert la voix d’une source commune.

Leur opaque conflit fait que tremble la dune.

Et le vautour flaira le monstre qui marchait.

 

[…]

 

 

  [p.63]

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 FINIT L’ANGOISSE…

LATVIA

 

Ne mugit pas la mer comme cent mille vaches

grosses de casques de bison frappant des gâches

pour un tonnerre bas qui nous répute frits

quand nous accourt le large étroitement épris

de supplanter à sublimités monotones

le calcaire gradin de nos terres lettones,

leurs tourtes de fumier, leurs fleuves de sapins.

Marchands d’hymnes, fermiers par le givre repeints,

lesteurs portant leur nuque écrite de losanges

par le vent, juifs taillés dans le kyste des anges,

ou bien ce cheval rose avec un museau bleu

qui broute la limaille et songe au fils de Dieu,

nous gueulâmes de peur dès qu’un parfait silence

d’ange inaperçus que leur fougue balance

débuta vers Riga, vers le rivage… Sans

aussitôt décharger ses carrosses puissants

sur la ville qui tremble au cerceau d’une baille

la mer montait ainsi qu’une gueule qui bâille

ou comme une forêt lève en trois cent six ans,

tous ensemble un soupir au prix de nos présents.

 

Matière de cristal dont l’éminence appelle

d’un cotre chaviré la navale chapelle,

la mouvante donnée allait, que ne retint

nul mot, nous liquider avec notre pantin

de hangars, de tombeaux, de butoirs, d’hypogées.

Les falaises de l’onde insondable allongées

des tonnes de faiblesse et de lieu transparent

où colossal subvient le fusible parent

dont la planche du monde organise le rêve

détruisent la grandeur et bâtissent la trêve.

Devant nous jusqu’où donc la mer tenait debout ?

 

Non pas face du sphinx, odeur du caribou

ni la page plaquant les étages du livre

mais présence au-delà du plan qu’elle délivre,

mais somnambule à vif qui pend sur la cité,

elle n’abrogeait rien de son opacité.

De sens incommutés qu’exalte et que caresse

tant de nomade humeur chez l’antique paresse

des lois dont le soleil nous cacha les raisons

nous saisissons ce bloc de pâles horizons

l’un sur l’autre campés pour le poids magnétique

qui groupe et qui retient  aux pieds de la Baltique

notre peuple enrichi par l’avril de la mort.

 

Nul ne songeait à fuir ces prodiges du nord

vers le carré d’herbe ou de route où le dilue

bientôt l’écroulement de la masse goulue

qui ses dents mènera jusqu’aux acres du Don.

 

La paupière drissée et tendu d’espadon

et le poil des poignets qui flambe, nous, les types,

nous préférions, brusquant nos moitiés et nos pipes,

presque oiseaux moyennant la vigueur du désir

abject, sur nous cette eau qui, rocher de plaisir,

parachève le meurtre en souffrant qu’elle hésite

et s’enfle à retenir la finale visite.

 

[…]

 

Inévitable, ainsi, la mer, où les vapeurs

montent au pôle avec de la barbe à l’amure,

où l’albatros discerne une noire ramure

de fleuves poursuivis, ressource des salmons,

l’image où nous planons lorsque nous n’écumons,

où la pose paisible au drapé de septembre

porte un soleil de cire au bout d’un cierge d’ambre,

où le vent dégourdit sur son bancal bourru

la moulure des bricks, le jupon de la bru

et l’ardente rousseur des signes et du phare,

l’étrangère qui file un sol qu’elle sépare,

la nonne ou le pêcheur s’étonne de pêcher,

l’étale frondaison d’un profil de pêcher

derrière quoi bondit, empanaché de neige

et d’érable, l’élan rosi de la Norvège,

l’huile de lis, la nue où le maître des blés

ordonne un pur tissu de désastres câblés,

la voisine introduite aux jargons de l’aïeule,

la longue vie au loin tournant comme une meule,

moulant son propre grain sans arrêt rentoilé,

la mer capricieuse étoffait le délai

du perpendiculaire et sinistre baptême.

 

[…]

 

De nous et de la mer qui donc était la mer ?

 

Nous cherchions, à travers le voile à peine amer,

les noyés déglingués sous un trépied de franges,

mes oursins, fabuleux soupirants des oranges,

des vaisseaux du passé la dentelle de bois

où voyage, en velours, le bel astre, parfois,

d’une pieuvre où la roue avec l’astre compose

et, pareilles leurs dents à celles d’une rose,

les poissons dont les flancs étincellent d’amour.

 

La mer n’hébergeait rien qu’une espèce de jour.

 

D’argent comme aux blasons ou comme la syllabe
qui l’enferme, répudiés le thon, le crabe,

le malarmat poilu, le silure crêté,

prompte à se compléter de sainte rareté

dont l’intime bouquet la prouve et l’apprivoise,

elle faucha sur soi la myrte et la framboise,

gravit légèrement son fantôme d’éther,

de sa lisse clôture au sourire de fer

investit sa vacance, épuisa sa nuit pleine,

montagne se promut sans se déprendre plaine

et, peignant au rayon de son sexe jamais

son urne éviscérée et franche de fumets,

exaspère d’oubli les piliers d’une attente.

 

[…]

 

  [p. 68/77]

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ET LA MORT…

C.P.

 

[…]

 

si je demeure doux sans douceur véritable…

ô passion de l’homme aux mains de ses enfants…

Avant ce soir, je gémirai sous mon cartable…

femelle, ô garce nue et ta langue qui fend…

 

le myrte dans le mufle et la croix dans les membres

qui fend mon cœur de vie et mon poumon de chair

et le regard peuplé de livres et de chambres…

fille divine ici commère de l’enfer !...

 

On me mordra, douceur ! dans ce monde qui tremble

toi qui lèves si haut ta jambe aux justes bas…

enfin de voir trembler quelqu’un qui lui ressemble

que je vois que te peuple un gouffre de sabbats !...

 

Reviens, douceur ! avec ta minceur qui vaut seize…

ô jument ricanante, ô reine des poisons…

tes colliers de sainfoin et de paille de chaise…

femelle, ô garce nue et tes âpres toisons…

 

tes souliers de fontaine et tes cils de pervenche…

ô malédiction mystique d’être moi !...

et cette insanité qui fait que je me penche…

ô rage de chercher les éviers de la loi !...

 

encore sur la glaise, où, terrible, tu daignes…

la bonté de la loi, la douceur de la loi…

encore sur cette herbe où je sue, où je saigne…

la douceur d’une face aussi belle que toi…

 

encor sur ces cailloux moins froids que ma main gauche,

plus belle qu’elle-même et que notre douleur…

sur cette fleur soumise à ce fer qui me fauche…

plus belle qu’une fleur, moins belle qu’une fleur.

 

                   [p.92/95]

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Autres sites à consulter

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