Sylvie Durbec, La huppe de Virginia, éditions Jacques Brémond, 2011 (05/07/2011)

Une lecture de Nathalie Riera

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LA HUPPE DE VIRGINIA – Sylvie Durbec

(Editions Jacques Brémond, 2011)

 

 


 I could not bear to live – aloud –

The Racket shamed be so –   

 

Je ne pouvais supporter de vivre – à voix haute –

Le Tapage me gênait tant –


 

Emily Dickinson, Poème 473 (Poésies complètes, 1862) édition bilingue Flammarion, 2009, p.447)

 

 

 

 

il y aurait une femme

il y aurait un homme

ce seraient leurs voix qui diraient

et il n’y aurait plus pour traduire

que les oiseaux la terre et le pain

 

 

De belles singularités de voix et d’images parcourent La huppe de Virginia, le dernier recueil de Sylvie Durbec, aux éditions Jacques Brémond.

Tout poème ne surgit pas d’un monde intact mais de l’imparfait du monde, qui donne l’impulsion à nos voix ou qui les laisse à jamais se tarir, « puits englouti/à sec ». Il faut des fontaines à nos voix, ces fontaines qui sont les berceaux des mots pour « nous faciliter l’élan du verbe et nous permettre de nous exclamer ». Dans la première section du recueil, Sylvie Durbec nous offre un « poème bilingue » que sont « la voix des hommes/la voix des femmes ». Ils sont des voix que l’on regarde, des portraits de voix. Et d’où vient la voix des hommes ? Elle « vient d’un centre/leurs mères l’ont creusé dans leur ventre/et pour s’élever la voix des hommes doit/enjamber la prairie déserte de l’enfance ».

 

Nous en passons par la langue héritée, mais il est également une autre voix à placer, comme celle de « l’enfant trop grandi ne sait où glisser son corps ses fesses et surtout les mots dont il a l’usage mais dont il sait l’inconvenance c’est-à-dire qu’ils ne pourraient venir s’asseoir au sein de la famille et toujours ouvrant avec violence mâchoire à broyer la voix lui luttant pour tout de même installer sa présence invisible comme moi le fais sans en connaître vraiment l’enjeu si ce n’est que j’ai besoin de la voix sans corde ni fil/ juste ».

 

La voix de la poète s’essaye à « la voix de silence », « la voix du sourd », « la voix écrite », « la voix qui se tait », « la voix qui se perd ». Cependant, la voix ne se réduit pas à seulement un organe sonore ou insonore, mais c’est aussi « les yeux aveuglés comme la voix ».

 

« Regard, le mien, collé aux grincements des choses », écrivait Pizarnik dans son « Journal, 1962 ». « Monde de silence. Besoin de m’inventer dans la nuit, avec des mots qui me coûtent tellement ». Tenter d’habiter ce monde en poésie, mais pour quelle fin, si ce n’est comme, selon encore Pizarnik : « je sais, d’une façon visionnaire, que je mourrai de poésie ».

 

Sylvie Durbec nous dit que en soi la voix a un corps, « inconnu continent », ou alors évoquant la voix du chef de gare : « la bête dans sa voix celle qui fut la première à dire/ECCE HOMO/ECCE VOX ». Inversement, le corps et son trop plein de voix, un étouffement.

 

Ecrire est inscrire une voix, est chanter « une éternité de voix ». J’aime alors à entendre « La voix matinale », « La voix des images », des voix à lire :

 

 

LA VOIX MATINALE

 

la voix c’est aussi cette feuille trouvée

sur la table au petit déjeuner alors que

tristesse s’était assise à la table inquiète

et puis feuille rousse dépliée un baiser

allège de son poids petit l’ajournée

devenue le temps de l’action et de dire

un jour à construire dans le désir

 

 

La voix a pour géographie ce qui est vie ce qui est mort. Paysages de voix déterminés par le vent, sa langue brutale, par le vert qui dans la voix s’enchante, par l’encre coulée noire, par le mot monde, moi qui ne sais pas l’écrire, par le mot mort :

 

« la vieille Virginia déclare : quand ça vient entre

c’est une vilaine affaire quand ça vient

entre les familles ça les coupe ce serait mieux

de ne pas

ou d’avoir simplement un an ou deux de différence

entre les mères et leurs filles les pères et les fils

ce serait plus facile que la mort n’entre pas ».

 

Capture de pensées et d’images saisies au passage : « cornes aigües des mots », « esquissant la parole/esquissant encore le geste de la vie », « cette bouche jeune s’essayant à dire/est la fenêtre d’un monde ancien prêt à finir ».

 

***

 

Venons-en à la deuxième section de ce recueil, une fugue : La huppe de Virginia. On y croise des noms d’insignes poètes : Leopardi, Thierry Metz, Fernando Pessoa, Celan, Bonnefoy, James Sacré…, des noms qui nous disent que « c’est d’une voix pauvre que la présence en nous s’exercera ».

 

D’un vers de Leopardi, tentant de lui faire

traverser le détroit usé de la gorge,

avec seulement un peu de sable en guise de ponctuation

 

 

 

Nathalie Riera, Les carnets d’eucharis

Juillet 2011

 

 

 

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Sylvie Durbec a récemment publié « Marseille/éclats&quartiers » (Jacques Brémond, 2009) suivi de « PRENDRE place, une écriture de Brenne » (Collodion, 2010)

 

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