Sylvie Durbec, Apparitions/disparitions (05/07/2011)
Roberto Bolano, au Chili, 1970
l’enfant a petite taille et grandes enjambées
petit géant des livres disent les grands
le savant-savant si sage enrage :
voler si vite avec jambes si petites
alors que lui si pressé en pensée
rien plus jamais ne le délivre
Pourquoi commencer de cette manière en invoquant un enfant dans un poème plus ou moins raté si ce n’est à cause de l’écrivain chilien Bolano ?
Je n’écris pas. Je lis. Bolano. Et de Bolano à d’autres, il n’y a qu’un pas.
En le lisant/relisant, je découvre qu’il avait lu Daudet enfant et regrettait que cet auteur qu’il avait aimé soit tombé dans un total oubli, parlant de Tartarin de Tarascon comme d’une sorte de traité du plaisir de vivre qu’il avait justement apprécié et dont il dit certaines choses qui me paraissent d’une lucidité telle que nous n’en avons jamais eu conscience, nous, le lisant enfants ou adultes, à part peut-être le texte éclairant de la Doulou dans lequel Daudet évoque la maladie qui finit par le tuer. Dans cet oubli qui frappe bon nombre d’auteurs, hispaniques ou étrangers, Bolano range évidemment Daudet, mais aussi parmi ces auteurs qui s’éloignent, Artaud le géant, Sophie Podolski que nous avons tant aimée, Henry Miller, Macedonio Fernandez. Demandant à des amis libraires ce que les gens lisaient (ou achetaient), j’ai su qu’on ne lisait plus (ou très peu) Walser, Faulkner, Sarraute et tellement d’autres, auteurs aimés et figurant sur les étagères de nos maisons comme autant d’amis aux paroles bruissantes et vivantes mais que le monde éphémère dans lequel nous vivons oblige au silence.Invendables. Souvenirs pour étudiants. Littérature morte.
Bolano est un compagnon actif.
Il ne désarme jamais.
Se moque des jeunes écrivains qui se vantent de ne pas lire.
Fait l’éloge de Swift.
Ne décolère pas.
Même mort.
La preuve ? Il me fait courir au premier étage et ressortir de la bibliothèque du palier (celle qui attend toujours une vitre) le roman de Javier Cercas dans lequel justement, outre Rafael Sanzas, figure la ville de Blanès. Donc également Bolano lui-même mais aussi un personnage, sorte de héros républicain, dont le nom, Mirallès, est le même que celui du poète Yann Mirallès.
Le personnage du roman de Cercas (Les soldats de Salamine) disparaît. Le poète Yann Mirallès apparaît.
Le livre de Cercas est maintenant sur la table de la cuisine, là où on écrit comme on mange, bien.
Il n’y a pas encore le livre de Yann Mirallès. Mais il sera là, bientôt.
Pour l’instant, deux livres qui ouvrent à eux seuls une bibliothèque : Entre parenthèses et Les soldats de Salamine.
Entre eux, rien.
La cafetière, la voiture qui passe sur la route, la grisaille, le chant du coq.
Cette immense fatigue devant la tâche de mettre en mots la colère.
Et même plus simplement la ville de Blanès où Bolano et Cercas mangent une paëlla.
Et qui n’existe plus et n’existera plus jamais.
Plus loin, à Mexico, dort Karla Olvera, autre poète.
Vivant cette fois, ce qui est une joie à cause de tous ses livres à venir.
Comme elle est en train d’écrire, j’espère que ce livre qui n’existe pas encore et donc ne peut disparaitre, un jour sera dans la bibliothèque du palier, celle à qui il manque une vitre, et rejoindra ainsi non seulement Cercas et Bolano, mais aussi Vila-Matas qu’elle admire tant, sans oublier Mirallès.
Ce que j’aime, dit Bolano, ce sont les raisons que l’on n’exprime pas vraiment et qui font qu’on s’installe à Gerona ou à Blanès, loin de Barcelone ou Madrid, et qu’on y écrit. Des livres qui ne disparaissent pas, puisqu’ils parlent la langue des vivants.
C’est tout.
A Boulbon, 4 juillet,
SD
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