Erich Fried -II- (traduction Chantal Tanet & Michael Hohmann) (14/02/2011)
Par la pensée
Te penser
et penser à toi
et penser à toi toute entière et
penser au te-boire
et penser au t’aimer
et penser à l’espérer
et espérer et encore
et toujours plus espérer
le te-revoir-toujours
Ne pas te voir
et par la pensée
non seulement te penser
mais aussi déjà te boire
et déjà t’aimer
Et alors seulement ouvrir les yeux
et par la pensée
d’abord te voir
et puis te penser
et puis de nouveau t’aimer
et de nouveau te boire
et puis
te voir de plus en plus belle
et puis te voir penser
et penser
que je te vois
Et voir que je peux te penser
et sentir ta présence
quand bien même
je ne peux te voir avant longtemps
Mais alors
La vie
serait
peut-être plus simple
si je ne t’avais
pas du tout rencontrée
Moins de tristesse
chaque fois
que nous devons nous séparer
moins d’appréhension
de la prochaine séparation
et de la suivante
Et pas non plus
quand tu n’es pas là
tant de ce vain désir
qui ne réclame que l’impossible
et l’immédiat
dans l’instant même
et qui ensuite
parce qu’il ne peut s’accomplir
en est troublé
et respire avec peine
La vie
serait peut-être
plus simple
si je ne t’avais
pas rencontrée
Mais alors
elle ne serait pas ma vie
Quoi ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que sont pour moi tes doigts
et tes lèvres ?
Qu’est pour moi le son de ta voix ?
Qu’est pour moi ton odeur
avant l’étreinte
et ton parfum
pendant l’étreinte
et après ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que suis-je pour toi ?
Que suis-je ?
Nuit à Londres
Garder les mains
devant le visage
et laisser clos
les yeux
ne voir qu’un paysage
montagnes et torrent
et dans la prairie deux animaux
bruns sur le versant vert clair
qui monte jusqu’à la forêt plus sombre
Et commencer à sentir
l’herbe fauchée
et tout en haut au-dessus des pins
en cercles lents un oiseau
petit et noir
sur le bleu du ciel
Et tout
absolument paisible
et si beau
que l’on sait
que cette vie vaut la peine
parce que l’on peut croire
que tout ça existe
Poèmes extraits du recueil Es ist was es ist (1983)
Traduits de l’allemand par Chantal Tanet et Michael Hohmann
Télécharger version allemande E. Fried, version allemande.pdf
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