William Bronk, Le monde, le sans-monde (31/10/2010)
A un musicien italien d’autrefois
Quand on écoute sa musique, combien
on aimerait en avoir été l’interprète, afin
d’être beau à jamais, comme sa musique,
comme lui en elle, qui n’est plus
que sa musique, qui est son monde.
Combien on désire toujours une fin
- afin que rien ne manque.
Et puis ceci encore :
qu’on désire durer, qu’on a besoin de se faire
un monde pour survivre, ce qui ne peut être fait
simplement, sur-le-champ, mais par la lente
accrétion, cristal à cristal, d’un monde
fait, d’un monde fait pour durer.
On n’est rien sans monde.
(p.65)
La nature de la forme musicale
Il est difficile de croire du monde qu’il devrait
y avoir de la musique : ces certitudes à rebours
du tout-incertain, cette beauté ordonnée sous
l’absence de tonalité, la confusion des bruits de hasard.
Il est tentant de dire de l’incompréhensible,
de l’absence de formes, qu’il n’y a d’ordre que celui
que nous ordonnons et que, l’ordonnant, il est ; ou encore,
qu’il y a un ordre naturel qu’appréhende la musique
dont l’appréhension justifie le monde ;
ou ceci encore, que ces formes sont fausses, pas vraies,
que la musique n’est pas pertinente à tout le moins, que le monde
est énoncé quelque part ailleurs, pas là. Mais non.
Comment dire ? Il y a une beauté de la personne aussi,
qui n’est pas la vérité des personnes ni même, apprend-on,
la vérité de cette personne en particulier.
Il n’y a que la beauté s’énonçant elle-même :
comme si nous en étions réduits à dire de la musique, qu’elle est.
(p.99)
Le monde, le sans-monde, 1964
(éd. Circé, 1994, pour la traduction française)
19:09 | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook