Gérard Cartier (17/09/2010)
Une lecture de Nathalie Riera
©
TRISTRAN – Gérard Cartier
(Editions Obsidiane, 2010)
«… la nécessité d’une poésie (…) à savoir un état fidèle à l’impact de la réalité extérieure et sensible aux lois intérieures du poète. »
Seamus Heaney (Discours du Nobel, éditions La Part Commune, 2003, p.53)
Après de nombreux livres de poésie, dont Le petit séminaire (Poésie/Flammarion, 2008) Gérard Cartier fait paraître Tristran, un nouveau recueil publié aux éditions Obsidiane.
Tout au long de ce récit sauvage tracé à la pointe sèche, le poète nous met en garde : On ne doit pas/des passions/faire littérature. Le projet poétique de Gérard Cartier : tenir un chemin d’écriture où, comme le « poète de l’Ulster » et ami Seamus Heaney, croire en la poésie, non pour se détourner de la violence du monde, mais parce qu’on doit croire en elle à notre époque et en toute époque, en raison de sa fidélité à la vie.
Retrouver dans le poème le viatique de la langue, quand la langue est substance de la pensée, la seule chose qui peut encore demeurer au cœur de l’aube ravagée et ses rhapsodes meurtris. Le livre devient alors un jardin de célébration aux vertus primitives. Le livre est voyage, quand il revient au poète de célébrer les noms sortis de la mémoire : nom puissant que celui de Tristran, et le chant léger de deux voyelles que celui d’Ysé. Reconvoquer l’origine du conte celtique, depuis un néant de tourbe et de brume. Lettres effacées, pages maculées, début arraché, le poète est habité de l’éclat et de l’écharde. Dès le commencement du récit, en l’été d’un autre siècle, le corps du poète est le corps du livre, où il n’est pas seulement question de pages et de mots, mais d’argile et de chair tremblantes.
A ma naissance/Un ange amer a présidé.
Ecrire Tristran dans la joie déchirante, sans la promesse d’un soulagement. La lumière n’a pas le pouvoir de la fulmination, sans secours dans un monde de tombeaux et de stèles. L’amour une faute et un châtiment… Mais rien ne sépare les amants, leur folle passion aux lettres immortelles … ils célèbrent/Dans l’indigence leur épiphanie. Toujours ce qu’il reste de feu contre le froid de l’épreuve, et ce que l’on peut percevoir de floraisons futures.
Embrasser la faute, la chérir. Toute la force de ce recueil : laisser/Aux amants des siècles futurs une louange sans flétrissure.
L’écriture est longue pérégrination. Tristran est l’hiver du poète, un climat de lecture qui met le lecteur à l’épreuve : ce qui descend vers les tombes profondes, ce qui remonte vers les roses éclatantes. Calligraphie des métamorphoses, bibliothèque des formes et des couleurs, sous le ciel des amants périssent les palabres, les éblouissances du langage. Ne demeure que les herbes les plus pauvres.
Ils s’aiment, c’est-à-dire, rien à vaincre mais tout à surmonter.
Chante le monde à l’Ange écrit R.M. Rilke, et dans Le Livre d’Heures : On sent l’éclat d’une nouvelle page/où tout encore peut devenir.
© Nathalie Riera, avril 2010
EXTRAIT
Ils se sont tus dans un hoquet et le chagrin nous saisit à
genoux dans un marais acide qui dissout les passions et conserve
les corps pour l’édification des générations à venir tourbe
épaisse où tout revient et le poison qui coulait dans leurs veines
passe aux fleurs éclatantes aux épines aspiré par les
racines noires colorant les baies des fossés les mousses
et les pierres…
(Extrait de la séquence 5 – La mort - .VII. p.113)
Gérard Cartier, Tristran, éd. Obsidiane, 1er trimestre 2010
Sur le site Terres de femmes Angèle Paoli
Un récit sauvage tracé à la pointe sèche
■ Lien : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2010/06/g%C3%A9rard-cartiertristran.html
Gérard Cartier est ingénieur (le tunnel sous la Manche, le Lyon - Turin) et poète. Ses premiers livres tirent leur motif de l’Histoire : la déportation de Robert Desnos (Alecto !, Obsidiane, 1994) et la résistance en Vercors (Introduction au désert, Obsidiane, 1996; Le désert et le monde, Flammarion, 1997 - Prix Tristan Tzara). Ses recueils récents composent une autobiographie fantasque (Méridien de Greenwich, Obsidiane, 2000 - Prix Max Jacob), imaginaire (Le hasard, Obsidiane, 2004) ou peut-être véritable (Le petit séminaire, Flammarion, 2008).
Gérard Cartier a traduit le poète irlandais Seamus Heaney (La lanterne de l’aubépine, Le Temps des Cerises). Il est par ailleurs, avec Francis Combes, l’initiateur de l’affichage de poèmes dans le métro parisien qui se poursuit depuis 1993.
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