Laurent Septier (22/05/2009)

Exposition du 25 au 30 mai

Galerie du Tableau

37 rue Sylvabelle 13006 MARSEILLE           

 

du 25 au 30 mai.jpg

Une certaine manière de prendre son temps

 

 

 

La vue est une très fine photographie

Imperceptible, sans doute, si l’on se fie

À la grosseur de son verre dont le morceau

Est dépoli sur un des côtés, au verso ;

Mais tout enfle quand l’œil plus curieux s’approche

Suffisamment pour qu’un cil par moments s’accroche.

 

Raymond Roussel

La Vue

 

 

L’image latente n’existe plus avec la photographie numérique, il n’y a plus de point aveugle, ce qui est capté l’est sous nos yeux et mieux encore, comme dans une mise en abîme, il nous est possible sur le lieu même de nous transporter à l’instar de Raymond Roussel, dans la vue que nous venons de prendre. De nous arrêter sur des détails suspendus que l’œil n’avait pas su ni même pu capter; non seulement il est possible de circuler dans l’image, mais en l’agrandissant très fortement sur ce petit écran aux couleurs si vives, d’y pénétrer au plus près, dans une sorte d’apnée. Mais ce n’est pas cet apparent paradoxe - être à la fois dans le réel et dans son image - qui est troublant, c’est qu’au fur et à mesure de cette approche, ce que l’imaginaire permettait à Raymond Roussel de saisir indéfiniment trouve ici sa limite dans la raison technique de l’image numérique : le pixel.

 

Il y a dans cet agrandissement progressif un entre-deux, un instant et une distance justes(1), où l’image n’est déjà plus vraiment nette, où apparaît à l’œil, même le moins exercé, quelque défaut : l’envahissement d’un visage par une couleur semblant glisser, la disparition d’une main, un flou bizarre, des effets de granulation qui font apparaître la substance même (si l’on peut dire) de l’image, sans pour autant que cette altération soit un frein à l’engouffrement de notre imaginaire confronté à ce réel qui fut là. Avant cet entre-deux, l’image est une simple photographie, au-delà elle devient un banal jeu de pixels - mais, dans cet intervalle où elle est juste un peu “attaquée”, comme “piquée” par le temps ou l’usure et où elle est cependant encore image, se trouve une sorte de vibration qui rend curieusement les personnes, les objets, les lieux, très présents, comme vivant de cette légère et incertaine pulsation.

 

La photographie se relâche ici comme, dans les restaurants, les conventions au demeurant assez complexes en Chine se relâchent, parfois le temps d’un clin d’œil, en révélant de nouvelles connivences. Les deux temps se rejoignent dans ces images.

 

Ces recadrages très serrés et sur le point de se dissoudre dans leur peu de matière, de disparaître comme éclate une bulle de savon, n’ont rien de spectaculaire. Ils témoignent à peine mais portent notre attention vers quelque chose à la fois très présent - suspendu dans cette durée hallucinatoire, comme un ralentissement, un glissement - et très déréalisé par son apparence fragile : détails troublants à la limite du visible, qui ne nous apportent aucun savoir, aucune certitude, mais simplement une vision légèrement décalée, déplacée, une certaine manière de prendre son temps.

 

 

 

 

(1) Sans savoir exactement pourquoi, mais avec cette certitude déjà décrite par exemple par Zhang Yanyuan, un peintre chinois de la dynastie Tang, qui écrivait “[la peinture] devient ce qu’elle est, sans que l’on sache pourquoi elle est bonne”.

 

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