Discours de Seamus Heaney (27/01/2009)
« CROIRE EN LA POESIE »
(extraits)
Je crois en la poésie (…) parce qu’elle peut créer un ordre aussi fidèle à l’impact de la réalité extérieure et aussi sensible aux lois intérieures auxquelles obéit le poète que les rides concentriques qui se formaient et se déformaient indéfiniment à la surface de l’eau dans le seau de l’arrière-cuisine, il y a cinquante ans (…) En d’autres termes, je crois en la poésie parce qu’elle est à la fois elle-même et un adjuvant, parce qu’elle rend possible une relation souple et roborative entre ce qui constitue le centre de l’esprit et tout ce qui gravite autour (…) J’y crois parce qu’on doit croire en elle, à notre époque et en toute époque, en raison de sa fidélité à la vie, dans tous les sens qu’on peut donner à cette phrase.
(…)
Cette disposition de mon tempérament pour un art qui s’était consacré avant tout aux réalités telles qu’elles sont, s’est accentuée grâce à ma propre expérience du fait que j’étais né et que j’avais grandi en Irlande du Nord, et que j’avais vécu en communion avec cet endroit, même si j’ai vécu ailleurs ces vingt-cinq dernières années.
(…)
… ce que la poésie essentielle réalise toujours, qui est de toucher la base de notre nature compatissante tout en englobant en même temps la nature indifférente du monde à laquelle cette nature est constamment exposée. La forme du poème, en d’autres termes, est cruciale pour la capacité du poème à accomplir ce qui fait et fera toujours la valeur de la poésie : la capacité à persuader cette part vulnérable de notre conscience de sa droiture en dépit des preuves de l’injustice qui l’entoure, la capacité à nous rappeler que nous sommes des chasseurs et des gardiens de valeurs, que nos solitudes et nos détresses les plus profondes sont estimables, dans la mesure où elles aussi sont une garantie de notre véritable nature humaine.
William Butler Yeats, Seamus Heaney - Discours du Nobel, Editions La Part Commune (pour le texte original : Fondation Nobel), 2003
QUATRIEME DE COUVERTURE : Par essence, un poète irlandais est un héritier du barde errant de la légende. Aucune oeuvre mieux que celle de Yeats et Heaney, toutes deux couronnées par le Prix Nobel de Littérature, n'a transcendé cet héritage celtique, la conscience aigüe des injustices de l'histoire, le silence en tant qu'engagement politique rural, l'ancrage dans un pays de tourbières. Et c'est parce que l'Irlande est une terre autant historique que légendaire, que la poésie est son identité.
Seamus Heaney est né dans le comté de Derry, en Irlande du Nord, en 1939. Il est le fils de fermiers catholiques, l'aîné d'une famille de neuf enfants. Il a fait ses études à St Columb's College, Derry, puis à Queen's University, Belfast. Il a enseigné plusieurs années à Belfast. En 1972, il s'est établi en république d'Irlande, avec Marie, sa femme, et leurs enfants. Il vit de sa plume jusqu'en 1975; puis il occupe des postes universitaires prestigieux, à Dublin, Harvard, Oxford. En 1995, il obtient le prix Nobel, quelque soixante-dix ans après W. B. Yeats.
Prix Nobel décerné le 5 octobre 1995 à Seamus Heaney « pour des œuvres d’une beauté lyrique et d’une profondeur éthique, qui exaltent les miracles quotidiens et le passé vivant ».
Le danger de l’art et de la littérature vient aujourd’hui de la tyrannie et des convictions des sociétés révolutionnaires et des formes de propagande politique et religieuse. La conviction a corrompu la plupart de la littérature anglaise moderne ; et pendant ces vingt années qui ont conduit à notre révolution nationale la tyrannie dévasta la plus grande partie de l’énergie des dramaturges et poètes irlandais. Ils devaient perpétuellement rester sur leurs gardes pour défendre leur création ; et plus la création est naturelle plus la défense est difficile.
Prix Nobel décerné le 14 novembre 1923 à W.B. Yeats « pour son œuvre d’une inspiration toujours élevée, qui, sous la forme artistique la plus sobre, fait parler l’âme d’un peuple ».
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