Note de lecture - Pascal Boulanger (17/10/2008)

 

Catherine Millet : Jour de souffrance

Dans l’usage du faux qui caractérise désormais notre actualité, il est réconfortant de lire un récit qui exprime la vérité d’un excès. Jour de souffrance, qui paraît aujourd’hui, sept ans après le succès de La vie sexuelle de Catherine M., propose une radiographie précise et méticuleuse du gouffre amoureux. Une femme se regarde, sans concession, et fait face à la douleur du négatif – ici la jalousie – et chaque mot sonde une traversée, chaque phrase travaillée par l’introspection, cogne contre un espace-temps mis en croix.

 

Tâtonnement intérieur, crise, doute, suspicion, surveillance… la jalousie opère dans le champ de l’imaginaire et quand les sensations vécues se murent dans des conflits intimes et dans la logique folle des passions tristes, quand l’hostilité envers soi-même et envers l’autre se déploie avec acharnement et à chaque instant, il y a bien enfer.

Enfer et aussi plaisir à se couler dans les stéréotypes de la femme trompée et humiliée. Une des forces de ce livre est de montrer l’enchaînement implacable d’un huis clos qui dissocie les sensations de chaque protagoniste.

 

Catherine Millet nous oblige, en effet, à traverser l’unité des contraires, dans leurs tensions et dans leurs douleurs, au lieu de les escamoter dans des concepts qui cachent toujours la cruauté du réel. Ce sont les détails des effets de la jalousie qui nous enseignent alors sur la vérité de l’être et de l’altérité. La grande santé dionysiaque (ce corps de femme livré à d’autres corps dans La vie sexuelle de Catherine M.) n’exclut pas la chute dans la dépression dont témoigne magistralement ce Jour de souffrance. Comme la connaissance du pire n’exclut pas le chant de l’affirmation.

 

L’homme qui se contredit mille fois, qui tente de nombreuses voies, qui porte divers masques et qui ne trouve en soi ni terme, ni ligne d’horizon, est-il probable que celui-là s’instruise moins au sujet de la vérité qu’un vertueux stoïcien ?

 

Nietzsche savait qu’un regard lucide et mobile renforce, en les assumant souverainement, toutes les libertés et toutes les contraintes humaines. Ce récit s’affronte à l’intériorité vibratoire de l’individu et investit, en les surmontant, les convulsions amoureuses. Mais celui qui subit la chute en inverse, à travers l’écriture – cette voix blanche dans la nuit du monde – le signe.

Face à un monde spectaculaire qui ignore et occulte l’abîme, Catherine Millet oppose un art de l’enquête et de la dissection. Elle déroule ici un récit clinique, écrit au scalpel, qui agit au cœur d’un trauma. Si la terreur rôde depuis toujours dans la geôle où tous nous nous enfermons, une voix, quand elle parle d’amour, chante aussi l’amen illimité d’une traversée.

 

Pascal Boulanger

 

Editions Flammarion, 2008

 

 

23:54 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook